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«A retardement» : Franck Thilliez, pas piqué des vers

Santé mentaledossier
Thriller sur fond d’Unité pour malades difficiles et de meurtres commis lors de délires psychiatriques, l’écrivain associe maladie mentale, parasitologie, dépit amoureux, psychiatre menacée et flics ténébreux dans un cocktail hyper-efficace.
Pour écrire son livre, Franck Thilliez a effectué une immersion en Unité pour malades difficiles. (rob dobi/Getty Images)
publié le 2 mai 2025 à 8h09

On n’a jamais eu trop de sympathie pour le ténia (aka vers solitaire) ni pour la toxoplasmose (maladie parasitaire). Ça ne va pas s’arranger avec A retardement, le 25e roman de Franck Thilliez. Cela dit, Bacopa monnieri, plante grasse a priori vertueuse, notamment pour réguler l’activité cérébrale, ne nous dit pas trop non plus, dans la configuration qu’imagine le discret cador du thriller français – dix millions d’exemplaires écoulés au compteur.

C’est le carburant du genre : rien n’est jamais totalement rassurant chez Thilliez. Surtout pas l’humain et son cerveau, souvent torturé ou abîmé. La maladie mentale est au cœur d’A retardement. L’un des personnages principaux est une psychiatre, Eléonore Hourdel, qui travaille dans une Unité pour malades difficiles (UMD). Dès le deuxième chapitre, un homme se suicide sous ses yeux. Au quatrième, on lui annonce l’arrivée dans son service d’un individu délirant qui cherche à s’ouvrir le ventre avec les doigts et qui entend des voix. Quelques pages plus tard, le commandant Franck Sharko, personnage fétiche de Thilliez, se retrouve face au cadavre d’un type maigrissime à la bouche ouverte sur un entonnoir – on l’a manifestement obligé à ingérer de la soude avant de le poignarder à une quarantaine de reprises en s’acharnant au niveau du ventre, ce qui suppose une envie de nuire particulièrement aiguisée. Or, la victime est identifiée comme le père de la psychiatre… information qu’elle va invalider. C’est parti pour un puzzle qui imbrique crises psychotiques, paranoïa, parasitologie, meurtres atroces, rivalité professionnelle, dépit amoureux jusqu’à revanche éternelle.

Une mécanique bien huilée

Franck Thilliez, c’est un livre par an en moyenne, et un carton quasi systématique. Pareil rendement suppose une mécanique bien huilée, une efficacité en béton armé. Elle passe notamment par une reconduction assez classique des codes du thriller : rythme de type montagnes russes très appuyé, cliffhangers à la pelle, chapitres qui se concluent sur une menace – «quelqu’un était entré chez elle», «son cri déchira la nuit», «il n’en avait pas fini avec l’horreur» –, héros qui frôlent tous la mort, modus operandi grandiloquent comme étouffer vive une femme dans un cocon géant.

En tout cas, Thilliez, 51 ans, soigne toujours son affaire et écrit en sachant de quoi il parle. Cette fois, il indique en postface avoir effectué une immersion en UMD (celui du Centre hospitalier du Rouvray, en Normandie). Il lui fallait «[se] rendre compte par [lui]-même si le fantasme de ce genre d’endroits, si ce que nous montrent les reportages à sensations – un lieu de hurlements, de punition et de violence pure correspond à la réalité ou non». En contrepartie, il a animé des ateliers d’écriture auprès de patients. A l’heure où la santé mentale et sa prise en charge sont admises comme un enjeu de société, et alors que l’irresponsabilité pénale fait toujours débat, son roman qui tabasse ailleurs (les scènes de crime, d’autopsie) tient de ce côté-là un point de vue sensible et subtil, qui restitue la diversité de la maladie mentale et qui reconnaît autant la souffrance des malades que la difficulté à la soulager.

A retardement, Franck Thilliez, Fleuve noir, 456 pp, 22,90 euros.