Menu
Libération
Lundi poésie

«Abandons» de Hortense Raynal, l’art de savoir perdre

Dans son nouveau recueil, la poétesse tente de saisir ce qu’il reste des images d’une enfance rurale et du déracinement.

Hortense Raynal. (Heinui Pourra /Effets Libération)
ParFlorian Bardou
Chef de service adjoint - Modes de vie
Publié le 15/09/2025 à 16h57

Chaque semaine, coup d’œil sur l’actualité poétique. Retrouvez tous les articles de ce rendez-vous ici.

Le Larousse donne une série de définitions de l’abandon. C’est, au choix, «l’action d’abandonner quelque chose ou quelqu’un ; l’état qui en résulte», «le fait de s’abandonner» ou encore «le fait de ne pas persévérer dans». Dans son nouveau recueil – le quatrième –, Abandons, paru cet été aux éditions de la Crypte, Hortense Raynal tente par la poésie de saisir ce qui en relève dans les échos ou réminiscences d’une enfance rurale dans l’Aveyron.

Ses poèmes, sorte d’instantanés, accrochent des restes d’images et opèrent par association d’idées. Exemples : «La vue de la ferme par le volet /pas une évidence et pourtant /comme une lumière de chambre et de champs à la fois» ou encore «les cloches des bêtes sonnent /la vie c’est là /la mort que je parle ailleurs /les cloches de l’église /souvent sonnent et /je trouve la vie sans ta présence».

La poétesse, qui continue de défricher une langue organique après Bouche-fumier (2024), Nous sommes des marécages (2023) ou Ruralités (2021), explore par là même l’état d’éloignement ou le déracinement de sa campagne natale, dont elle use de la musicalité nostalgique du dialecte. On pense aux mots et expressions, «tanous» (fleurs de choux), «buger le feu» (entretenir) ou «rabaler» (traîner, zoner), chargés de l’imaginaire d’une époque révolue.

Egalement, ses abandons interrogent en vers denses et économes ce qu’il est possible de garder (ou de voir disparaître) et ce qu’il faut sauver (ou à apprendre à perdre). Car l’écriture, et la poésie, est de ces choses qui permettent de questionner les limites (sensorielles, émotionnelles ou corporelles) des souvenirs, parfois leur faire un dernier adieu.

Hortense Raynal, Abandons, éd. La Crypte, 64 pp., 15 €.

L’extrait

on dit ça va au ciel

mais comme c’est faux

ça va au fond

s’enlise qu’on peut plus voir

mais qu’on peut sentir

c’est comme une présence à se défaire

à s’enlever

la mort ça va dans les marécages

comme c’est beau un marais

mais c’est la colère

dans les rares remous

qui cogne tamponne

vers les algues du fond

le soir le matin surtout le matin

quand tu cherches les îlots

en musique allons-y ;

dans la bourbe l’abandon