Abdellah Taïa a eu huit sœurs mais il a vécu avec six d’entre elles. Il dit qu’il leur doit la vie puisque ses parents ont conçu un enfant supplémentaire dans le seul espoir d’avoir un fils. Il a toujours voulu leur dire merci et le fait en exergue du Bastion des larmes, qui leur est consacré : «tout mon amour pour Amina, Khadija, Rachida, Latifa, Fatima, Hafsa, Najet, Rabiaa». Pourtant il n’est pas toujours tendre avec elles dans ce roman où tout est vrai, ou presque.
Youssef, le narrateur, est le double d’Abdellah Taïa, un Marocain exilé depuis vingt-cinq ans en France où il enseigne et rêve de devenir écrivain. Il revient à la mort de sa mère dans sa ville natale, Salé, pour vendre la maison familiale dont il a hérité. Forcément tout remonte, le passé avec ses jours heureux et ses traumatismes, mais aussi les ravages opérés par le temps. Il a admiré ses sœurs parce qu’elles aimaient vivre dans la transgression, refusant ce qui pouvait ressembler à de la soumission et du conservatisme. Et il retrouve des femmes mûres et soumises, à leur mari ou aux conventions. On entend leurs voix, par moments. «Nous, nous sommes âgées, presque vieilles. Et puis, après la mort de notre mère, nous sommes devenues les gardiennes. Celles d’une certaine mémoire. La mémoire de notre mère. La mémoire de notre père. De leurs sacrifices. De leurs combats. Et de leurs folies. La mémoire de ce qui nous a liés depuis tant d’années. C’est nous qui faisons des efforts pour garde