Voici le premier paragraphe du premier texte («le Poète») du premier recueil (Histoires de vent) d’Adelheid Duvanel (Suissesse morte en 1996) : «Il y a encore quelques mois, je m’efforçais d’être sociable. J’attirais des inconnus dans ma maison ; le vin étincelait comme des fleurs de sang dans les verres que je leur tendais. Au petit matin, les yeux des jeunes femmes et des jeunes hommes se vidaient, coulaient goutte à goutte, chaudement, sur leurs cous, sautillaient sur les clavicules et descendaient en ruisselant. Mais moi, qui n’avais pas bu, j’étais assis comme de la cellophane dans le fauteuil râpé à côté du chauffage central et j’observais leurs danses ; ils se détachaient des murs auxquels ils s’étaient agrippés, et flottaient comme du lierre au gré du vent.» Le deuxième paragraphe commence ainsi : «Enfant, j’essayais d’entrer en contact avec les gens à l’aide de petits gestes, en m’exprimant à demi-mot, mais eux aimaient le sonore, le concret, ce que j’avais en horreur. Ils ne pouvaient pas me comprendre.» Plus loin dans le texte, le narrateur raconte aimer se promener avec sa chienne. «C’est au cours d’une de ces promenades qu’il arriva que je devins poète», en passant devant une voiture gelée sur laquelle un enfant trace des lettres avec un doigt. «Quelque chose était écrit sur le capot, un mot qui éveilla mon intérêt ; en passant tout près, je déchiffrai : COLÈRE.»
Paraît donc chez Corti Histoires de vent, chronologiquement