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Histoire

«Aliénés», une histoire des fous

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Le cahier Livres de Libédossier
L’historien Anatole Le Bras a épluché les archives pour partager des récits personnels, permettant de mieux comprendre à quoi ressemblait la vie des internés et de leurs familles au XIXe siècle.
A l'hôpital Sainte-Anne (gravure du XIXe siècle). (Bridgeman Images)
par Sylvain Venayre
publié le 27 mars 2024 à 20h59

Albin Le Gouallec naît dans l’arrière-pays de Lorient, le 3 décembre 1839. Il grandit dans la ferme de ses parents, en compagnie de ses trois sœurs. Bientôt, apparaissent des symptômes bizarres. Il court, il coupe des arbres, il se déshabille. Pour revenir de la grand-messe, le dimanche, il ne suit pas la route ordinaire, met ses sabots sous un bras, son chapeau sous l’autre et marche seul au milieu de l’hiver. Parfois, il va pêcher avec un râteau. Peut-être tout cela provient-il du trop grand effort qu’il aurait fait, un jour, pour soulever une pierre sur la lande de Kerquiton.

Les véritables complications commencent vers 1870. Désormais, Albin se met nu et parcourt la campagne, ravage les récoltes, casse les carreaux de la chapelle des fleurs – peut-être même agresse-t-il la fille du meunier. Ses projets de mariage sont mis en échec, ce qui aggrave sans doute les choses. Il fait honte à ses parents, qui lui reprochent par ailleurs de ne pas faire sa part de travail, alors même qu’ils ont consenti pour lui d’importants efforts financiers, notamment en payant pour le faire remplacer au service militaire, comme c’était possible à l’époque. Albin, lui, ne voit pas les choses comme ça : «Ils m’en voulaient parce que je savais un peu lire, et s’ils avaient appris, ils en auraient su autant que moi

«Ils m’ont amené de force dans l’écurie»

Puis, tout bascule. C’est Albin qui raconte : «Un jour Le Sec et Jean Marie Guillemot forgeron sont venus me prendre dans le grenier, ils sont venus plusieurs fois, j’ai fait