Abonnez-vous à la newsletter Libé Polar en cliquant ici.
Elle habite avec son chum à Saint-Sébastien-de-Frontenac, petit village du Québec où elle a passé son enfance. Les trois fenêtres de son bureau donnent sur la montagne, la rivière, les bois : autant de décors de ses livres publiés chez Rivages, de Bondrée, découvert par les lecteurs français en 2013, à Proies, publié cette année. Lorsqu’elle décide de s’installer à sa table de travail, elle dit souvent qu’elle part dans la forêt, là où elle situe l’essentiel de ses romans noirs, qui commencent dans l’inquiétude et s’achèvent dans la frayeur.
Le week-end dernier, modeste, discrète, presque effacée, Andrée A. Michaud était loin de chez elle, tentant d’oublier le décalage horaire, la fatigue et la chaleur d’un drôle d’automne français pour tenir son rôle de marraine du quinzième festival de polars Un aller-retour dans le noir, à Pau (Pyrénées-Atlantiques). Au pays du foie gras et du magret de canard, elle cherche les salades et les légumes, mais elle n’est pas du genre à faire des histoires, élever la voix ou jouer un rôle de star.
Scènes primitives et nature hostile
Andrée A. Michaud préfère distiller le doute, la peur, l’horreur même, dans la plupart de ses livres, plaçant ses personnages dans un huis clos en plein air. Adepte de Marguerite Duras, qui fut son exemple littéraire dans ses premières fictions (non publiées en France), elle évite l’esbroufe du thriller, préférant une inquiétante étrangeté. Prenez les premières lignes de Proies : «Le mardi 18 août d’une année dont on se souviendrait plus tard comme d’une année de deuil et de stupéfaction, trois adolescents de Rivière Brûlée, un village perdu parmi les collines, avaient quitté la maison familiale sitôt après le déjeuner…». La romancière ne cherche pas à tromper son monde, la menace est là, dès la première ligne. Quant au décor, l’autrice québécoise lui donne une place essentielle, du froid extrême aux étés trop chauds.
C’est vraisemblablement son amour du septième art qui lui a donné ce goût pour les histoires sanglantes et pourtant pétries de poésie. Elle a étudié l’histoire du cinéma, cite volontiers Shining, qui continue de la pétrifier et l’épater, même lorsqu’elle le revoit pour la troisième ou quatrième fois. Mais c’est à Délivrance de John Boorman, avec l’impressionnant Jon Voight, qu’elle fait référence pour envisager l’intrigue de Proies. On y retrouve un sentiment de malaise dès les premières minutes, une rivière sauvage, des scènes primitives au cœur d’une nature de plus en plus hostile. Andrée A. Michaud fait toujours appel aux cinq sens pour raconter ses histoires de perte et de mort. Elle s’en explique d’un ton presque timide, cherchant des yeux la sortie sans jamais éluder les questions.
Le silence de la terre
Après avoir vécu à Montréal, l’écrivaine a voulu retrouver le calme d’un village, la beauté des paysages encore sauvages, les bruits du vent et surtout le silence de la terre. Elle n’écrit pas vite, corrige sans fin, doute en permanence pour trouver le mot juste et le rythme de la phrase. Cette fille des années 60 a sans doute puisé dans sa vie et ses souvenirs pour placer le socle de ses histoires. Elle aime recomposer les sons lointains d’une fête foraine villageoise, les rires des filles qui font griller des marshmallows dans le feu, le gloussement des garçons qui proposent une promenade nocturne en forêt. Elle sait que nous avons déjà compris. Dans ce climat qui s’alourdit, le monstre n’est pas loin et nous nous préparons à avoir «une peur du diable», comme Judith, Abigail, Alexandre et leurs parents.