Apostrophes, février 1986. Seule femme parmi les invités, en veste de tweed et lunettes aviateur, mèche blonde de dandy, elle vient présenter son premier roman paru chez Grasset. Elle a 23 ans, elle est normalienne, s’exprime bien, reçoit les éloges en baissant la tête, sourit timidement. Le livre s’intitule Sphinx et porte une énigme : c’est une histoire d’amour à la première personne mais, par le jeu des tournures et le choix des mots, jamais le genre (masculin, féminin) des deux protagonistes n’est dévoilé. Chacun, chacune, projette ainsi différentes choses à la lecture. Sur le plateau, Bernard Pivot a son avis : «Pour moi, c’est une femme qui aime une autre femme, mais je n’ai aucune preuve.» Hervé Claude en a un autre : «Moi, je pense que ce sont deux hommes.» Selon Max Genève, ce n’est «pas du tout la question» : «Le livre se passe ailleurs que dans la différence sexuelle, c’est un roman janséniste.» Elle écoute et ne donne d’autre réponse que celle de la littérature à l’épreuve : «Ça m’intéressait de prendre une contrainte pour essayer d’exprimer quelque chose d’un petit peu troublant. Je voulais troubler un peu le lecteur.»
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