Peu de traces subsistent de l’enfance d’Aphra Behn, née dans le Kent près de Canterbury. C’est principalement dans la préface de Histories And Novels of the Late Ingenious Mrs. Behn, signée par «one of the fair sex», publiée en 1696, que l’on peut découvrir quelques éléments biographiques sur cette femme de lettres britannique. Une certaine Aphra Johnston aurait été baptisée le 14 décembre 1640 à Wye. La jeune femme aurait entrepris en 1663 un voyage avec sa mère dans le Suriname, alors colonie néerlandaise située en Amérique du Sud, où la découverte d’une terre exploitée pour ses richesses, notamment pour les plantations sucrières, l’aurait profondément marquée. Les conflits entre les puissances anglaises, françaises et hollandaises ainsi que l’esclavagisme qui y règne font de cette expérience un épisode qui va inspirer, une vingtaine d’années plus tard, le célèbre roman Oroonoko, publié en 1688.
Le plus grand succès littéraire d’Aphra Behn outre-Manche est bien le court roman Oroonoko ou l’esclave royal, qui fut traduit et publié en France en 1779. Dans la traduction française de Pierre-Antoine de La Place, l’orthographe du nom du héros est simplifiée en «Oronoko» dans le souci de rendre le texte plus conforme au goût français. Aphra Behn y dénonce l’hypocrisie occidentale et la traite négrière, préfigurant les premiers romans philosophiques de Montesquieu (De l’esclavage des Nègres, 1748) et de Voltaire (Candide, 1759). Situant son récit loin du pouvoir central londonien, elle dénonce la participation des Anglais à la traite d’esclaves, scellée par la charte de la Company of Royal Adventures of England Relating to Trade in Africa (1663), qui établissait le commerce triangulaire sous Charles II. Aphra Behn dénonce le regard porté par l’Empire britannique sur les premiers habitants, qu’il s’agissait d’instruire ou d’assujettir.
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Espionnage en Hollande et pièces légères
De retour de son séjour au Suriname, Aphra Behn épouse un marchant plus âgé, probablement hollandais, un certain Johann Behn. Celui-ci serait mort de la peste autour de 1666, la laissant veuve à l’âge de 26 ans. Par la suite, la jeune femme se rapproche de la cour de Charles II où elle brille grâce au récit détaillé de son séjour au Suriname. Nouant des relations précieuses avec des cercles liés au théâtre, Aphra Behn accepte une mission d’espionnage en Hollande en 1665 pour le compte de Lord Arlington, comme en témoignent des documents conservés aux Archives nationales de Londres. Séjournant à Anvers sous le nom de code «Astrea», d’après le célèbre roman l’Astrée (1607-1627) d’Honoré Urfé, afin d’obtenir des renseignements auprès d’un certain William Scot, Aphra Behn échoue et passe quelque temps en prison pour dettes en 1667 – ce qui est fréquent à cette période. Face à ce revers de fortune, elle écrit à Charles II afin de lui demander de l’aide. Cette missive lui permet-elle d’être libérée rapidement ? Nul ne le sait. Mais à sa sortie de prison, découvrant un paysage détérioré après le grand incendie de Londres de 1666 qui a causé de nombreux dégâts matériels, la jeune femme se lance dans l’écriture de pièces théâtrales afin de gagner sa vie.
C’est avec légèreté et ironie qu’Aphra Behn publie la pièce The Rover en 1677, dans laquelle elle dénonce les conséquences désastreuses du mariage arrangé sur la vie des jeunes femmes. Forte de ce succès qui rompt avec l’austérité des écrits de la Restauration, la femme de lettres s’essaie également au roman épistolaire avec Love-Letters between a Nobleman and His Sister (1683). Mais c’est dans l’écriture théâtrale que la jeune femme rencontre un franc succès avec, successivement, The Amorous Prince (1671), The Dutch Lover (1673), Sir Patient Fancy (1678) et The City Heiress (1682).
Amitiés théâtrales
Pouvant vivre de sa plume, chose inédite dans un paysage littéraire fortement dominé par des confrères masculins, Aphra Behn évolue au sein de cercles d’amitiés dans le milieu théâtral. Fréquentant le Comte de Rochester, un poète et dramaturge proche du roi Charles II, le dramaturge Nathaniel Lee, le poète anglo-irlandais Nahum Tate et le dramaturge Edward Ravenscroft, la première femme de lettres britannique devient rapidement célèbre. Ses pièces sont représentées dès 1670, auprès de celles de ses confrères John Dryden et Thomas Shadwell. Ses amitiés avec les actrices Elizabeth Barry et Nell Gwynn, maîtresse du roi, lui permettent de gagner en popularité.
Souffrant parfois de critiques, sa profession d’écrivain, qui est un statut nouveau au XVIIe siècle, lui offre toutefois une forme de respectabilité sociale. Malgré la renommée de ses pièces et de son roman Oroonoko diffusé outre-Manche, Aphra Behn termine son existence dans la pauvreté. Elle s’éteint le 16 avril 1689 et se trouve enterrée à l’abbaye de Westminster.