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Après la polémique sur les «sensitivity readers», le Canadien Kevin Lambert remporte le prix Décembre en France

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Le Canadien Kevin Lambert a remporté mardi le prix Décembre, devenant à 31 ans le plus jeune lauréat à décrocher cette récompense convoitée en France pour sa forte dotation.
Paris, le 23 septembre 2019. Portrait de Kevin Lambert, écrivain canadien. (Remy ARTIGES/Photo Rémy Artiges pour Libération)
publié le 31 octobre 2023 à 18h41

Il est le plus jeune lauréat à décrocher cette récompense convoitée en France pour sa forte dotation. Kevin Lambert, 31 ans, a remporté mardi le prix Décembre. Le Québecois est récompensé pour Que notre joie demeure (éditions du Nouvel Attila), une fiction sur la chute d’une architecte accusée de chasser les pauvres de Montréal.

Le prix a été créé en 1989 (sous le nom de prix Novembre) pour récompenser un roman oublié des autres prix littéraires d’automne. Mais, cette année, il vient avant les autres grands prix, comme le Femina, le Goncourt, le Renaudot et le Médicis. Il est doté de 15 000 euros, avec le soutien de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent.

La critique de Mathieu Lindon

Avec son roman, critique grinçante de la bonne conscience des dominants, publié au Canada en septembre 2022, Kevin Lambert a suscité l’enthousiasme de la critique en France. Et provoqué à sa sortie, une brève polémique dans les milieux littéraires, alimentée par son éditeur. Ce dernier avait révélé que Kévin Lambert avait eu recours aux services d’une relectrice canado-haïtienne pour vérifier à quel point un personnage d’origine haïtienne était crédible.

L’écrivain français Nicolas Mathieu avait ardemment dénoncé la pratique dans un post Instagram : «Faire de professionnels des sensibilités, d’experts des stéréotypes, de spécialistes de ce qui s’accepte et s’ose à un moment donné la boussole de notre travail, voilà qui nous laisse pour le moins circonspect. Qu’on s’en vante, voilà qui au mieux est amusant, à la vérité pitoyable. Qu’on discrédite d’un mot ceux qui pensent que la littérature n’a rien à faire avec ces douanes d’un nouveau genre, et sous-entendre qu’ils font le jeu des oppressions en cours, c’est tout bonnement une saloperie.»

«Amplifier mon personnage»

Interrogé par Télérama pour répondre à cette apostrophe, Kevin Lambert avait expliqué être «conscient qu’inventer des personnages qui ne nous ressemblent pas comporte une forme de risque.» «Je ne sais pas tout de leur expérience, je peux commettre des maladresses.» Et de détailler que dans son livre, «figure ainsi un personne d’origine haïtienne».

«On ne peut pas se mentir, explique-t-il alors. La fiction a charrié pendant des années de nombreux stéréotypes grossiers sur les personnages minoritaires, qu’ils soient homosexuels, féminins, juifs, non blancs… Or, je voulais qu’il y ait une forme de justesse dans ma manière de l’écrire.» Il fait alors appel à Chloé Savoie-Bernard, une poétesse d’origine québécoise et haïtienne, «qui n’utilise pas l’expression de «lecture sensible»». «Le point de vue de Chloé m’a permis d’amplifier mon personnage, de l’enrichir, d’explorer des zones que je ne m’autorisais pas moi-même à explorer. C’est presque l’inverse d’une censure.»

Si l’intervention d’un «sensitive reader» est courante en Amérique du Nord, elle l’est beaucoup moins en France.. Kevin Lambert, qui figurait dans la première sélection du prix Goncourt, fait partie des 8 finalistes du prestigieux prix Médicis du roman francophone. Il sera décerné le 9 novembre.