Rien de plus symboliquement contestataire que la barricade. Rien de plus mythiquement attaché à l’imaginaire révolutionnaire parisien aussi. Et si à la place des pavés, on se servait des livres, matière hautement inflammable dans les esprits et parfois d’essence radicale ? Luise Schröder, née en 1982 à Potsdam, en Allemagne, qui vit et travaille entre Paris et Berlin, a conçu dans le cadre de la commande photographique nationale (encadré ci-dessous), une installation photographique et vidéo immédiatement signifiante, matérialisant la puissance de certains textes alliée à l’énergie collective. Elle s’intitule la Barricade - Existing as a Promise.
Formée à la photographie à l’Ecole supérieure des arts visuels de Leipzig, l’artiste s’intéresse à la fabrique de l’histoire et des communautés par les images. En résidence artistique à la Cité internationale des arts à Paris en 2018-2019, au moment du mouvement des gilets jaunes, elle a l’idée de la barricade, et découvre, en menant des recherches, les collections picturales et photographiques d’événements historiques (1789, 1848, 1871, 1944, 1968) «dans lesquels les barricades ont servi d’objets de résistance, de révolte et d’identification». Leurs représentations ont traversé les siècles et les révolutions, racontant une continuité historique qui se poursuit dans les manifestations contemporaines.
1830-1980
Entassement destiné à barrer le passage, la barricade induit une mobilisation. Son édification réunit des gens autour d’un but commun qui l’intéresse «parce que c’est un acte de mobilisation et d’interaction collective entre corps». Une vidéo en boucle de sept minutes documente la performance collective : une chaîne humaine, ses différents maillons échangent des objets dans une gestuelle presque mécanique de mains en mains, ces objets sont des livres, les livres dont on peut voir la couverture sont des textes à connotation revendicative, sociale ou politique, ainsi Paris sous tension d’Eric Hazan (la Fabrique, 2011), un ouvrage historique collectif sur la résistance ou les Misérables de Victor Hugo. Un tirage monumental matérialise le dispositif final : un savant empilement de tranches qui laisse d’ailleurs deviner quelques titres de-ci de-là : Mai 1968 ; Un Paris révolutionnaire ; les Ouvriers ; Insurrection… On songe au passage que cet agencement fait voler en éclat l’usuel alignement vertical – et peut-être de confort bourgeois – de la bibliothèque. Ce n’est plus alors véritablement le contenu du livre en tant que support de savoir à feuilleter qui pavoise, mais sa fonctionnalité empilable. Mais paradoxalement, on imagine cette muraille de papier davantage comme offensive que défensive, renfermant toute l’énergie que diffuse une littérature engagée. C’est un bloc, auquel il est impossible de prélever un morceau sans faire vaciller et s’écrouler tout l’édifice. «Le mur qui ploie par endroits sous le poids des ouvrages, mais aussi des discours qu’ils contiennent, est à la fois imposant et fragile», écrit Magali Nachtergael à propos de la Barricade - Existing as a Promise, dans le catalogue de l’exposition Regards du Grand Paris (coédition Cnap, Ateliers Médicis et éditions Textuel, 272 pp., 45€). L’œuvre marie acte commun et résultat, œuvre dans l’œuvre.
Luise Schröder, la Barricade - Existing as a Promise. Installation exposée aux Magasins généraux à Pantin (1, rue de l’Ancien Canal, 93500). magasinsgeneraux.com
Le franc Paris
Regards du Grand Paris se veut à la fois le nom de la commande photographique nationale du ministère de la Culture aux Ateliers Médicis en partenariat avec le Cnap, et la première exposition de 330 œuvres des 38 artistes (dont Luise Schröder, œuvre ci-contre) lauréats des cinq premières années de cette commande (2016 à 2021). On peut voir cette diversité de regards que lie le thème du Grand Paris, aux Magasins généraux, au Musée Carnavalet et en affichage extérieur dans 37 lieux franciliens et chantiers du nouveau métro du Grand Paris Express. Organisation du pouvoir dans la Métropole du Grand Paris et lien avec les citoyens par Olivier Menanteau, territoires laissés-pour-compte par les projets passés de Karim Kal, les «Formes de l’eau» par Aurore Bagarry, imaginaire des grands chemins chez Chenxin Tang, scènes de vie à Vaires-sur-Marne par Lucie Jean, portraits de sapeurs in situ de Baudouin Mouanda, travailleur(e) s de l’entretien et du nettoyage par Maxence Rifflet… Autant d’écritures ancrées dans le réel d’une nouvelle génération, qui dote d’une mosaïque de récits ce jeune territoire. Jusqu’au 23 octobre.