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Mardi SF

«Au clair de la terre», des anges passent

Science-Fiction dossier
Les Moutons électriques exhument un roman de Christine Renard, une voix originale de la SF française un peu oubliée.
(Rytis Bernotas/Getty Images)
publié le 5 mars 2024 à 13h52

Un jour, une sorte d’extraterrestre débarque dans leur vie. Une jeune fille de 20 ans à la beauté diaphane, presque inhumaine, comme un ange de Fra Angelico. Florence a, de l’avis d’André Barthélémy, «des cheveux d’or étincelants, des yeux bleus, un teint d’aubépine. Belle comme tu ne peux l’imaginer. J’en ai eu le souffle coupé. Mais tout de même, elle est étrange. Mince, très mince, un squelette d’une délicatesse extrême ; je n’ai jamais vu des chevilles et des poignets semblables». Florence vient de perdre sa mère, Anne Vargelonne, qui a succombé à une crise cardiaque. Celle-ci était autrefois la fiancée d’André Barthélémy, il l’a quittée sans écouter ses explications quand elle lui a avoué qu’elle était enceinte sans l’avoir trompé. André s’est ensuite marié avec Colette, morte quand leur fille Françoise avait 3 ans. Qui est Florence ? Au clair de la terre commence sur un mystère, et l’ambiance ressemble d’abord à un gentil roman policier à la Agatha Christie, avec des accents sentimentaux : Jacques Duval, l’ami d’enfance de Françoise devenu détective, se met sur la piste. L’enquête mène à Hendaye, où vivait Anne Vargelonne, et où de très étranges événements se sont déroulés il y a vingt ans. Quinze enfants nés dans les environs à la même constitution angélique, tous artistes, tous réunis désormais dans un atelier parisien autour de l’un d’entre eux, Christian Silverberg (dont le nom fait irrésistiblement écho au grand écrivain américain de science-fiction Robert Silverberg).

Le Mardi SF de la semaine dernière

Paru début 1980 sous le titre la Nuit des lumineux, chez Nathan «SF», quelques semaines après la disparition de Christine Renard le 7 novembre 1979 à 50 ans, ce roman a été retrouvé par Richard Comballot, et proposé aux Moutons électriques. Dans sa postface, André-François Ruaud retrace le parcours de «cette voix majeure de l’imaginaire français» – thèse sur l’Etude des phantasmes dans la littérature dite de science-fiction, autrice de nombreuses nouvelles, de quelques romans et traductions – et dont le destin familial fut des plus tragiques. Au clair de la terre fait penser au Village des damnés de John Wyndham (1957) adapté doublement à l’écran par Wolf Rilla (1960) et John Carpenter (1995) : dans une bourgade anglaise, des habitantes se retrouvent simultanément enceintes accouchant d’enfants au regard hypnotisant et au pouvoir télépathique. Si le roman y fait plusieurs fois référence, il n’en a pas la même problématique dramatique. Les créatures de Christine Renard n’ont pas de pouvoir de nuisance et suscitent des réactions antagoniques, la fascination ou la répulsion. La fin elle-même dénote même avec ce qu’on pouvait en attendre. Loin de la douce musique classique qui rythmait la narration, sous-tendue par une intrigue amoureuse entre Françoise et Jacques, l’histoire prend un tour formel expérimental, jouant à un moment presque une scène de théâtre sous un figuier avant de laisser imaginer un roman dans le roman. Et en laissant in fine tout le sel fantastique.

Christine Renard, Au clair de la terre, postface de André-François Ruaud, Les Moutons électriques «Bibliothèque des vertiges», 176 pp., 20 € (ebook : 9,99 €).