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Essai

Avec «Juger les mots», Anne Arzoumanov dans les coulisses de la liberté d’expression

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Dans son essai, la linguiste se penche sur l’arbitraire des magistrats. Une des leçons : mieux vaut dire du mal avec des mots abstraits.
A Paris, lors d'une manifestation contre l'extrême droite et le racisme, le 22 mars 2025. (Boby/Libération)
publié le 16 juillet 2025 à 17h36

On oublie souvent que le meilleur fondement de la liberté d’expression est son médium même : le langage. Celui-ci, en effet, par nature équivoque, est trop courbe pour se prêter au droit. Les mots ne sont pas des produits standardisés, doués d’une identité fixe, comme des ampoules qui ne rentrent que dans un seul type de douille. Ils sont labiles, fuyants, polymorphes : les mêmes mots disent tout autre chose, alors que deux expressions très différentes disent la même chose. Un minuscule changement, un suffixe différent, un contexte différent, une autre place dans la phrase – et les jugements de cour vous rendront blanc ou noir !

Un peu malgré lui, ce livre, écrit par une linguiste, est une vraie leçon de citoyenneté. Il montre qu’en matière de liberté d’expression, l’arbitraire des juges est considérable. Pas plus considérable, il est vrai, que nos interprétations dans la vie quotidienne. Sauf qu’eux décident au nom de la société tout entière.

On peut certes énoncer quelques règles. Quand vous voulez dire du mal, préférez les mots abstraits aux mots concrets (car la loi ne condamne pas les opinions, mais la provocation à la haine ou les diffamations ou injures). Ne dites pas : «les homosexuels sont abominables». Dites (comme Christine Boutin jadis) : «l’homosexualité est une abomination». Préférez les mots en -isme (souvent construits à partir de substantifs, donc plus abstraits), aux mots en -ité (construits à partir de l’adjectif donc plus concrets) : «islamisme» pass