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Lundi poésie

Avec «Poésie commune», tirer les vers du lien

Poésiedossier
Avec quatre recueils au format ultra poche publiés chaque printemps, la nouvelle collection des éditions MF propose de rendre compte de la pluralité des voix poétiques contemporaines.
Les quatre recueils au format ultra poche de la collection «Poésie commune». (éd. MF)
publié le 14 avril 2025 à 9h24

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Il est toujours réjouissant d’apprendre le lancement d’une nouvelle collection de poésie. Et, en l’occurrence, la proposition des éditions MF, «Poésie commune», a quelque chose de rafraîchissant. Sa promesse ? Etayer au travers de quatre recueils publiés simultanément au début du printemps ce qui unit, relie ou rassemble les voix poétiques contemporaines dans leur pluralité, leur singularité ou leur diversité formelle et esthétique.

Rien à voir donc avec les expérimentations littéraires, qui ont pu relever du genre, proposées jusqu’ici par la maison indépendante dans son catalogue. «La collection à laquelle nous pensions Laure [Gauthier] et moi, était d’une autre nature, narre dans un avant-propos l’éditeur Bastien Gallet, quant à la genèse de cette collection. Ce devait être une collection de poésie car c’est au sein de ce genre aux limites incertaines que quelque chose se passait.»

En 2025, une première fournée de poétesses (Séverine Daucourt, Florence Jou, Gabrielle Schaff, Camille Sova) a donc été invitée à générer du «commun» (à travers de la langue, les problématiques abordées et l’association). Cela donne à première vue quatre ouvrages colorés dans un format ultrapoche ; et à seconde, un aperçu des approches actuelles qui tracent leur propre sillon loin de toute chapelle, prolongé par une chronique dans la revue les Temps qui restent.

Camille Sova par exemple, dans les Branches des autres – son premier livre à compte d’éditeur –, dépl (o) ie une écriture mélancolique au travers de collages poétiques, que Frédérique Cosnier (membre du comité éditorial) rapproche du «uncreative writing» (écriture sans écriture) théorisé par le poète américain Kenneth Goldsmith.

Ses poèmes, à partir de fragments d’ouvrages ou forums de développement personnel et qui s’arrachent comme une éphéméride, s’approprient donc la voix (les branches) des autres pour faire éclore un murmure tout personnel qui en fait la critique. Exemple de cut-up (11 mars) : «dans les racines il y a toujours des bactéries /la douleur je la produis moi-même /mieux vaut cueillir ses propres brûlures /que s’éparpiller en cicatrisations.»

Dans d’autres registres, Florence Jou dresse, elle, avec Xixi, le portrait en vers libres d’une jeune activiste écologiste fictive quand Séverine Daucourt cherche dans un long poème, Poudreuse, à révéler la réalité néocapitaliste derrière la «neige» qui nous engourdit et Gabrielle Schaff, dans Veules-les-Roses, s’attache par un dialogue à deux voix à dévoiler la poétique de la cartographie. Et l’on retient ces deux vers finaux qui pourraient toutes les lier : «toute course pour changer de monde se fera /avec des espèces compagnes des nuages».

«Poésie commune», éd. MF, 10 €.

L’extrait

14 juillet

extrait de les Branches des autres, de Camille Sova

ivre comme un papillon pour lampadaire

il entend l’ordinaire respiration des vaisseaux

c’est un voyageur intérieur

je le connais un peu

il est en fumée mais abrite

un rire jasmin

les talus font tenir sa sensibilité

«personne ne désire chanter avec moi

je suis simplement moins bien dessiné

c’est superficiel

et pourquoi le temple mais pas la colère ?

à l’écart des rêves l’eau est rare

j’ai suspendu pour eux le soleil

mais le cœur jaunit à la lumière»

il hurlait et je savais qu’il y avait une place

pour les crayons ignorés

ailleurs peut-être

là d’où viennent les nuages