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Adeptes du «true crime», cette littérature noire du réel qui conquiert de plus en plus de lecteurs et de lectrices, cet incroyable livre est pour vous. Son autrice n’est pas coutumière du noir mais elle aime les défis et les découvertes. Nous avons découvert Nane Beauregard en 2016 avec l’Amour, simplement (Joëlle Losfeld), «un petit bijou de simplicité et d’humour», écrivions-nous alors dans ces colonnes, qui racontait les petits riens du quotidien d’un couple d’une façon inédite et drôle et dans lequel quiconque a expérimenté la vie à deux se reconnaissait instantanément, et nous avons poursuivi en 2022 avec la Fissure (Ramsay), une sorte de prose en vers qui n’aurait pas dû nous séduire mais qui nous a emportée dès les premières lignes telle une planche de surf sur la crête d’une vague. Nous ne savions donc pas du tout à quoi nous attendre avec Balle perdue (Maurice Nadeau) et la lecture de ce dernier livre, qui n’a rien à voir avec les deux précédents, nous a envoûtée.
C’est l’histoire d’un procès. Un jeune garçon d’origine hispanique, Pascual Lozano, comparait en 2001 devant un tribunal de Las Vegas, accusé d’avoir tué d’une balle perdue une fillette dénommée Genesis, cela ne s’invente pas, «petite fille innocente qui en restera, pour toujours, à sa propre genèse, au balbutiement, à l’esquisse de sa propre vie, donnant ainsi raison à sa mère qui lui a donné ce prénom», écrit Nane Beauregard. Balle perdue n’est pas le simple récit d’un procès, c’est aussi une digression sur ce terme de balle perdue qui pourtant peut supprimer une vie, une vie qui commençait tout juste, une vie qui, à une seconde près, aurait pu continuer à s’épanouir, à faire le bonheur d’autres vies plutôt que leur malheur. C’est aussi le portrait de l’accusé, gamin entraîné par d’autres à faire le coup de main, gamin que l’autrice considère comme innocent et qui pourtant refuse de trahir ses amis, loyal jusqu’au bout, même quand sa mère, à la barre, se montrera brisée par le chagrin et la peur de voir son fils condamné à mort.
«Comme des cadeaux du ciel»
Bizarrement, c’est la figure de Pascual qui s’avère être la plus forte, la plus émouvante sous la plume de Nane Beauregard. Au fil des pages, on s’y attache et l’on tremble à l’heure du verdict que l’on ne vous donnera pas, mieux vaut goûter le plaisir de dévorer ce livre sans savoir ce qu’il adviendra de l’accusé et prendre en pleine figure l’un de ces deux termes «coupable» ou «non coupable». Voici comme l’autrice voit Pascual dans les derniers instants du procès : «La réalité, pour lui, auparavant, était la peau d’un serpent en train de muer, le fruit de son imagination, le liquide amniotique, dans lequel il continuait à flotter dans une demi-vie ou une demi-mort sans parvenir à accéder à la vie telle qu’elle est, à la vie et aux faits dont elle est constituée et dont il croyait pouvoir jusque-là se protéger, comme tous ses camarades de galère, s’imaginant pouvoir se mentir, s’aveugler au besoin, et recevant de plein fouet des rappels à l’ordre, dont la mort de Genesis fut le plus cuisant d’entre eux. Mais Pascual sera finalement le seul à tirer la leçon de ce drame, sans doute du fait de la violence des faits dont il a été accusé.»
Pourquoi raconter ce procès vieux de plus de vingt ans, dont personne ou presque n’a gardé le souvenir ? Et pourquoi s’en emparer ainsi, de façon si subjective et littéraire ? «J’ai écrit Balle perdue après avoir vu une série documentaire sur Arte il y a quelques années intitulé “Justice à Vegas”. Je n’ai donc rien inventé, même et surtout pas les noms propres des personnes qui me sont arrivés comme des cadeaux du ciel, nous a confié Nane Beauregard. Mais j’ai tout inventé à partir de ce que ne disait pas le documentaire qui se contentait de montrer sans parti pris le déroulement du procès et ses à-côtés, en me faufilant dans les interstices qu’il laissait “en blanc” et que j’ai investis avec passion. Plus je pétrissais la pâte de la langue aussi bien française qu’espagnole, plus tout ça s’emboîtait, se répondait, correspondait, presque miraculeusement, exactement comme dans une fiction.» Un livre d’une grande puissance noire et poétique.