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Jeudi polar

Benjamin Fogel joue avec la transparence et le mensonge

Avec «l’Absence selon Camille», troisième tome d’une trilogie noire autour du cyberharcèlement et des libertés individuelles, l’auteur entremêle romanesque et réflexion politique et sociale.
Benjamin Fogel construit des intrigues truffées de rebondissements, et, dans le dernier opus, met en scène quasiment tous les personnages qu’on a pu croiser dans les précédentes histoires. (kentoh/Getty Images)
publié le 14 mars 2024 à 9h20

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Entamée en 2019 avec la Transparence selon Irina, suivie deux ans plus tard par le Silence selon Manon, la trilogie de Benjamin Fogel s’achève aujourd’hui en feu d’artifice avec l’Absence selon Camille. Si chaque roman peut être lu individuellement, on ne saurait trop conseiller la lecture des trois volumes. Le point de départ est l’invention d’un système politique fondé sur la transparence des données en ligne, ouvrant la voie à tous les excès, les oppositions, la radicalisation, la lutte contre le cyberharcèlement et le mouvement des masculinistes.

Les «Obscuranets», contre la prolifération du virtuel

Face à cette question centrale de la transparence, s’oppose forcément la volonté de l’anonymat au nom des libertés individuelles. Mais Benjamin Fogel n’écrit pas un essai, il construit des intrigues truffées de rebondissements, et, dans le dernier opus, met en scène quasiment tous les personnages qu’on a pu croiser à un moment ou un autre dans les précédentes histoires. Il y a donc du roman noir, du thriller, de la réflexion politique et sociale, un clin d’œil aux séries télé dans l’Absence selon Camille qui démarre par un slogan peint sur les murs de Paris : «Malgré la transparence, on vous ment.» Derrière ce message, se cachent à peine les «Obscuranets», mouvement révolutionnaire qui lutte contre la prolifération du virtuel. L’auteur y ajoute un scandale d’Etat particulièrement utile au nouveau candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle, un duo de policiers, père-fille, et un adolescent fragile à la recherche de son père disparu.

Tout en ménageant le plaisir romanesque, l’auteur compose une métaphore du monde d’aujourd’hui, capable de basculer et de se radicaliser du jour au lendemain. Finement composé, ce dernier volume, qui se déroule en 2060, a sa part d’émotion liée à la tentation de résignation chez certains personnages, leur sentiment de renoncer à leurs engagements sociaux et politiques qu’ils portent depuis longtemps. Tout à coup, l’ouvrage prend un tournant personnel, individuel, tandis que les dernières pages laissent espérer un sursaut, une lueur.

«La fiction peut réparer le monde»

Du côté de l’écriture aussi, Benjamin Fogel dose soigneusement chaque livre en fonction du propos : un style sans effusion dans la Transparence selon Irina, l’envie de coller au réel pour le Silence selon Manon. Mais pour le dernier volume, l’auteur se laisse tenter par un ton romanesque plus incarné où pointe l’émotion.

En choisissant la fiction plutôt que l’essai, il affiche ses préférences. Il aime cette idée d’un pas de côté. «La fiction nous aide à nous améliorer collectivement. La fiction peut réparer le monde», nous a-t-il expliqué. Et la fiction noire tout particulièrement, rappelle ce jeune écrivain qui est aussi éditeur. Benjamin Fogel, qui publie chez Playlist Society sept livres par an, prépare ainsi la sortie imminente d’un entretien signé Yvan Robin avec Hervé Le Corre. Un peu de polar, de la pop culture à travers des essais sur le cinéma, la série, la musique, tout est prétexte à nourrir son inspiration. Même son métier, puisqu’il s’occupe de la plateforme d’exposition des services numériques du groupe La Poste.

L’Absence selon Camille, Benjamin Fogel, éditions Rivages /Noir, 350pp, 21 €.
La Transparence selon Irina et le Silence selon Manon sont disponibles en poche, éditions Rivages /Noir.