Bernard Strainchamps fait du web son laboratoire de recherche depuis plus de vingt ans. Véritable pionnier, cet ancien cuisinier devenu bibliothécaire est passionné par la veille littéraire sur Internet et suit ses évolutions de près. Son dernier site en date, Bibliosurf, fêtera ses dix ans en 2025. Il y répertorie les articles de presse, blogs ou podcasts consacrés aux livres. Bernard Strainchamps mène cette activité seul et en parallèle de son poste d’ingénieur d’études dédié aux métadonnées sur le campus de Condorcet. Rencontre avec cet aventurier d’internet.
Pourquoi avoir choisi le web littéraire comme terrain d’expérimentation ?
Cela me donnait la possibilité de faire des choses qui n’avaient pas été faites auparavant. A la fin des années 90, le fonctionnement des bibliothèques était très pyramidal. Le conservateur faisait la politique d’acquisition, avait son réseau et participait à des salons de professionnels. En revanche, un simple agent ou contractuel était assez autonome. Il n’échangeait pas directement avec des collègues d’une autre collectivité. Internet n’en était alors qu’à ses balbutiements, mais il permettait déjà de casser cette hiérarchie et de mutualiser les savoirs. Participer à cette dynamique m’a motivé.
Vous lancez le site «Mauvais genres» en octobre 1999. Il n’existe plus aujourd’hui. En quoi consistait-il ?
Il était dédié au roman policier et à la science-fiction. Je l’ai créé sur une liste de discussion [forum de discussion par mail, ndlr], puis j’ai lancé une vitrine mettant en valeur les contributions des membres sur cette liste. Mauvais genres avait pour but de mutualiser entre bibliothécaires la veille sur la production éditoriale et partager des contacts avec des auteurs, par exemple. Par ailleurs, beaucoup de membres d’associations publiaient des chroniques. Ils me transmettaient ces documents pour que je les scanne et les publie. Des critiques professionnels m’envoyaient également leurs archives. Mon travail était donc celui d’un bibliothécaire : trier, structurer et mettre en valeur, avec les techniques qui ont évolué au fil du temps.
Puis vous créez Bibliosurf...
Au départ, Bibliosurf était une librairie en ligne qui était basée sur la médiation. Les lecteurs participaient grandement, avec des chroniques, des interviews… J’ai arrêté cette entreprise à cause de Google Panda [algorithme agissant sur le classement des sites web sur Google]. Après la fermeture, j’ai créé le site de veille Bibliosurf. J’étais en mission dans un centre de documentation à l’Inra, Institut national de la recherche agronomique. C’était un travail peu sympathique. L’objectif pour moi était de faire une veille correcte et multimédia, la partager sur internet et permettre aux utilisateurs d’avoir différents avis structurés sur un livre. C’était un laboratoire, et ça l’est toujours. J’ai commencé par une simple veille sur la blogosphère, puis je l’ai étendue aux podcasts.
Intégrez-vous les réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram à votre veille ?
Ce sont des sites dont les données ne sont pas ouvertes. C’est compliqué à faire. Et il n’y a aucun relais de Bibliosurf sur les réseaux sociaux, par souci d’une certaine éthique et du respect des données personnelles. Ce qui m’a toujours façonné, c’est d’être libre et indépendant, sans publicité ni cookies. C’est très important et partagé par beaucoup de bibliothécaires et d’acteurs du monde du livre. Dans les années 2000, dès qu’on avait une idée, on voulait faire une start-up et gagner beaucoup d’argent. Ça n’a jamais été mon truc.
Vous êtes-vous penché sur l’intelligence artificielle ?
Je m’intéresse au traitement de langage avec chatGPT. Je suis utilisateur de cet outil parce qu’il m’aide au quotidien. Donc cela mérite de regarder sous le capot et de comprendre ce qu’est ce réseau de neurones. Il n’y a pas vraiment de risque qu’il vous baratine. Il est même nul en littérature. Mais pour générer du code ou comprendre la structuration d’un fichier, il est plus performant qu’un être humain. Lorsqu’il y a un nouvel outil comme chatGPT qui émerge, j’essaye de m’en emparer, même si ce n’est pas évident à prendre en main. J’avance comme ça, pas à pas.