La femme aux cheveux bleus, qu’une autre femme appelle «la folle en bleu», est une célèbre pianiste anglaise de 34 ans. Elle est sans enfant ni compagnon. Elle fume le cigare, boit du vin et s’appelle Elsa M. Anderson. Le M signifie miracle. Quel miracle ? Abandonnée par une mère inconnue, elle a été rebaptisée, élevée et formée par un vieux professeur homosexuel, Arthur Goldstein. Il s’éteint en Sardaigne, près d’un Steinway poussiéreux à touches d’ivoire, désormais interdites : «Je ne l’avais jamais vu fermé. Il y avait toujours quelqu’un pour jouer dessus, l’accorder, le maudire ou le cirer. […] C’était un vieux piano. Les touches étaient plus jaunes que blanches. L’ivoire ne peut pas brûler. Arthur m’avait raconté qu’il avait enseigné à des compositeurs qui jouaient d’une main et fumaient de l’autre. Si la cendre était tombée sur les touches en plastique d’aujourd’hui, elles auraient fondu.»
Arthur est veillé par son amant, Andrew, qui l’appelle «Maestro» et n’aime pas la femme aux cheveux bleus. Elle regarde Andrew, ne comprend pas comment son père adoptif, qui déteste la médiocrité, a pu s’enticher d’un tel homme. Elle en conclut qu’«aimer un abruti était davantage possible dans le sud», ce qui est généreux pour le nord. Mais l’abruti est, comme le lecteur et Elsa le découvriront, capable d’intuition et de chagrin. Il a aussi quelques raisons d’en vouloir à la jeune femme. Pourquoi n’a-t-elle jamais voulu lire les papiers, gardés par A