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C’est un livre et c’est un corps. Le projet «typodermique» de Camille Bloomfield s’écrit, comme son nom l’indique, autant sur la page que sur la peau de l’autrice elle-même. Car elle s’est fait tatouer chacun des signes typographiques qu’elle a choisi de développer en poème : une esperluette derrière l’oreille, des guillemets sur le mollet, un hashtag sur le flanc… A moins que ça ne soit l’inverse, qu’elle ait choisi d’écrire un poème à partir de chacun de ses tatouages typographiques. Qu’importe ce qui de la poésie ou du tattoo fut réalisé en premier. L’objet final, très beau, fait dialoguer le texte et les photos de parties du corps de Bloomfield, réalisées en noir et blanc par Nicolas Southon. Le tout est à la fois graphique et littéraire.
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Pour disposer sur la page ses poèmes, l’autrice joue avec la taille de la police – le bien nommé corps –, le niveau de gris, le blanc, l’italique, l’ajout de signes… Chaque texte, lui, est une variation sur l’élément typographique, sans qu’il soit un simple prétexte – on pense à Euclidiennes, où Eugène Guillevic composait un court poème à partir de figures de la géométrie. Le signe est ici une façon de déchiffrer le monde, ou au moins de rendre compte d’une tentative de déchiffrage. «Je rêve d’un monde où le malheur / serait correctement référencé / & les joies dûment indexées / – c’est pas parce que j’ai les mots / que j’ai toujours les clés.» Les photos quant à elles invitent à lire le corps, les tatouages étant autant de points de repère. «Mais vous n’aurez rien de mon intériorité. / Rien du tout. / Même en lisant attentivement / entre les lignes / de ce poème», avertit l’autrice, cachant un minuscule «rien» précisément entre ces deux dernières lignes.
Un texte final – cette fois dépourvu de toute ponctuation – vient faire le bilan de la performance. Car elle l’a vécue, dit-elle, comme une réappropriation de son propre corps. La poésie comme du body positive ? En tout cas un acte d’affirmation. «On y est ça y est j’ai dit ce que j’avais à vous dire sur mon corps par les signes par le souffle des signes par le poème ma mère n’est pas contente elle m’avait faite belle dit-elle et de la pêche de ma peau j’ai fait un parchemin mais moi je sais je sais que j’ai repris le contrôle»
Camille Bloomfield, Poèmes typodermiques, éditions les Venterniers, 114 pages, 33 euros.
L’extrait
«
Garder avec elleux
un dialogue ouvert
bien que h /a /c /h /é
– mince filet
s’écoulant péniblement
d’une bouche
chevronnée
comme
agrafée
au risque de finir
à jamais
dépareillée :
ne pas
ne pas
refermer les guillemets !