Attention, ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains. Non qu’il soit question de turpitudes ou d’insoutenables violences. Le journal inédit d’Yves Navarre (1940-1994) n’est en rien immoral, n’est susceptible de blesser aucune minorité. Il est simplement accablant de désespoir. Pendant vingt ans, un homme confie qu’il a peur, qu’il a froid, qu’il est seul. Il a une vie mondaine, Jacques Chazot, Alice Sapritch, Judith Magre, Paco Rabanne, Guy Laroche, Françoise Sagan, Jack Lang, on en passe, il est soigné par Claude Gubler, il a un ami fidèle, Emanuel Ungaro, mais pas vraiment d’attache sentimentale. Rien de ce qui s’appelle un entourage. Avril 1974 : «Ce journal est creux. Il est le creux de mon cœur. Et le creuset de mon attente. Par lui je vibre faiblement. Mais je vibre. Il me guide et je le guide. C’est mon unique compagnon.» Quelques jours plus tard : «Je n’arrive même pas à m’imposer par ces lignes. Cette fidélité quotidienne au stylo, à l’écrit, écrit à la main, tricot de vie n’est qu’un tricot de mort.» La mort est partout. Avril 1971, l’année où commence le journal : «Le suicidaire, esclave de lui-même, ne se suicidera pas. Il en parle, mais il ne le fait pas. Il n’est pas libre.»
Qui est Yves Navarre ? Un romancier naguère connu qui a remporté le prix Goncourt en 1980 avec le Jardin d’acclimatation. 1980 est l’année de la mort de sa mère, l’année de la mort de Roland Barthes qu’il fréquente. En novembre, il se sent enfin «lu. P