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Jeudi Polar

«Châtiment» de Céline Denjean, macabre à Tarbes

Nourrie par ses recherches de terrain, la romancière déroule avec rythme une double enquête dans une communauté catholique tradi du sud-ouest de la France, sous l’égide d’une chef de brigade aux antipodes des flics de la PJ parisienne.
Au fil des pages, pas d’hémoglobine à grands jets, ni de portes qui volent à six heures du mat pour une perquisition. Céline Denjean travaille sur l’ambiance d’un milieu clos et la façon dont elle se reproduit. (South_agency/Getty Images)
publié le 8 août 2024 à 8h55

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Qu’on se le dise, les meurtres en série ne font pas tous l’objet d’une enquête menée par la brigade criminelle de la préfecture de police de Paris, jadis logée au 36 quai des orfèvres, et aujourd’hui installée à côté du nouveau palais de justice, en bordure du périphérique. Céline Denjean, elle, a résolument choisi le sud-ouest de la France, qu’elle connaît bien, et une gendarme pour mener les investigations. «J’étais fatiguée de l’archétype de la femme dans le polar, présente pour faire joli dans le décor», nous a-t-elle raconté. Dans Châtiment, le major Louise Caumont, chef d’enquête à la brigade de recherche de Tarbes, ne porte pas de veste en cuir patinée par des années de carrière et ne met pas systématiquement le deux tons pour s’extraire des embouteillages, au fond assez rares sur les routes des Hautes-Pyrénées.

L’affaire dont elle écope a toutes les apparences d’une véritable embrouille : le meurtre de Marie-France Bellegarde, mariée et mère de six enfants, assassinée selon un mode opératoire qui rappelle en tout point celui d’un serial killer dénommé le Thanatopracteur. Reste que le meurtrier en question est passé de vie à trépas il y a quatre mois. Or, le dernier meurtre date de deux mois. Tout porte donc à croire que l’assassin de Marie-France Bellegarde se comporte comme un copycat d’un genre particulier. Il a eu accès à des détails connus uniquement de ceux qui ont eu le dossier judiciaire entre les mains. «Louise et son équipe mesuraient alors l’ampleur de la tâche. Ils partaient de zéro alors que deux mois étaient passés. La déperdition d’information était colossale. Exit la mémoire immédiate des témoins interrogés dans les heures qui suivent l’événement. Exit les émotions sur le vif susceptibles de trahir une dissimulation, exit aussi l‘existence d’un compte rendu d’emploi du temps détaillé du jour J», écrit Céline Denjean.

«Si l’on décrit l’horreur, on doit le faire de manière intelligente»

L’enquête va alors emmener Louise Caumont et son équipe au cœur de la communauté catholique traditionnelle à laquelle appartient la famille Bellegarde, avec ses rites, ses codes, ses non-dits. Dans le même temps, un enquêteur privé est sollicité pour la disparition de Roselyne Blanc, une sexagénaire directrice d’une association caritative qui évolue dans les mêmes sphères que Marie-France Bellegarde. Céline Denjean cisèle avec un art consommé du rythme les cheminements des deux investigations aux méthodes radicalement différentes. Elle appartient, comme Olivier Norek, à cette nouvelle génération d’auteurs qui documentent leurs écrits et n’hésitent pas à se rendre sur le terrain. «On peut sortir un lecteur d’un livre si l’on écrit une bêtise», assure cette ancienne éducatrice spécialisée qui a dirigé un centre d’accueil pour enfants handicapés avant de choisir de devenir romancière à plein temps.

Au fil des pages, pas d’hémoglobine à grands jets, ni de portes qui volent à six heures du mat pour une perquisition. «Si l’on décrit l’horreur, on doit le faire de manière intelligente, suggérer plus que décrire», poursuit l’autrice. Céline Denjean travaille sur l’ambiance d’un milieu clos et la façon dont elle se reproduit. «On voit comment de génération en génération le mal se transmet. Les bourreaux d’aujourd’hui ont été des enfants victimes.» Dans un précédent ouvrage, le Cheptel (Hachette, 2018), elle s’était penchée sur le milieu sectaire en disséquant un mouvement dont le gourou vendait les jeunes membres comme objets sexuels à des individus aussi pervers que riches. Son prochain opus, prévu pour février 2025, aura pour cadre le déni de grossesse et ses conséquences. Une fois de plus, les ressorts les plus intimes et les plus secrets de la nature humaine seront mis en tension et donneront du fil à retordre aux gendarmes du sud-ouest.

Châtiment, Céline Denjean, Michel Lafon, 400 pp., 20,95 euros.