Un souvenir peut jaillir d’un mot. Puis se débobiner au gré des bribes qui surgissent ensuite à la façon des pièces d’un puzzle : une atmosphère, un lieu, un parfum, un visage, une image. C’est le mot «Chevreuse» qui donne le coup d’envoi, qui libère un air qui passait souvent à la radio dans ces années 60, Douce Dame de Serge Latour, puis la vision des yeux clos d’une jeune femme écoutant la chanson, dans un petit restaurant vietnamien situé entre Maubert et la Seine. Elle se prénommait Camille, mais préférait son surnom terrifiant de «Tête de mort ; «On le lui avait donné à cause de son sang-froid et parce qu’elle restait souvent taciturne et impénétrable.» Ce début d’écume qui monte du passé prend, au fur et à mesure de l’avancée du roman, la forme d’une vague emportant noms, objets (quantité de montres ingénieuses et remarquables, une boussole gravée disparue, un briquet en argent…), endroits, printemps. Chevreuse parle de la vie qui coule, de la mémoire et de l’oubli.
Le narrateur s’appelle Jean Bosmans, le lecteur familier de Patrick Modiano le connaît depuis l’Horizon (2010). On peut aussi voir mentionner un demi-chapelet de personnages déjà entrevus précédemment : Martine Hayward, Andrée K., Jean Terrail, Guy Vincent… Dans un carnet de moleskine noir, Jean Bosmans année 2010 notait les fragments résurgents de sa jeunesse et se souvenait d’une certaine Margaret Le Coz, évanouie d’un coup, qu’il tentait de retrouver des décennies plus tard. D