Chaque semaine, coup d’œil sur l’actualité poétique. Retrouvez tous les articles de ce rendez-vous ici.
Avant la pause estivale de cette chronique, Libération vous propose une sélection de livres fraîchement parus.
Pour les solitaires
Etre soi-même, c’est bien beau. Mais ce soi correspond-il à celui que l’on fantasmait ? C’est là que se pose Ursula Kautto, au milieu de la dissonance, dans les interstices entre cette personne dont on rêve et celle qu’il faut bien se résigner à être. Est-elle assez intense, aussi mémorable, aussi forte et détachée qu’elle s’imaginait l’être, cette jeune mère «lourde et ancrée dans le sol» ? Dans une langue dépouillée – celle qui est née en Finlande et vit depuis 2005 dans la légion lyonnaise «entretient une relation très personnelle et complexe avec le français, qui s’est imposé comme sa langue d’écriture» – Ursula Kautto passe en revue des moments, souvenirs, et pensées qu’elle étire, nous laissant explorer un monde intérieur tantôt refuge («Quand je suis dans la gueule du monde / et qu’on me baise sans savoir qui je suis / Je serre mon trésor entre mes dents / Je serre mon trésor entre mes dents») tantôt pollué par les ingérences extérieures («J’ai eu ce fantasme d’être regardée quand je le désirais / par tout le monde / ou par quelqu’un d’important»). Un recueil profondément intime sous une simplicité désarmante. C.Px
Ursula Kautto, les Cheveux jaunes de Cyndi Lauper sous son chapeau rouge, éd. Lanskine, 45 pp., 13 euros.
Pour les voyageurs
«Moi dans le cœur / j’ai la Sicile / qui est une mère / désolée.» Qui donc est ce poète qui chante son île et les mythes qui la hantent, ses couleurs et son aridité, son malheur et le goût de ses petits poissons ? Inconnu en France ou presque, où seuls deux recueils ont été traduits il y a dix ans, pas non plus une star en Italie, Bartolo Cattafi fait figure de solitaire. Né dans la banlieue de Messine en 1922, publicitaire à Milan à partir de 1947, il n’a eu de cesse de revenir en Sicile, en voyage ou par le biais de la littérature, faisant de son pays natal son Ithaque. Il est mort en mars 1979, laissant des textes qui marquent par leur concision et leur précision, petits tableaux marins portant une part égale de soleil et de mélancolie. «Iles et terres / et la mobile mosaïque de la mer / tesselles, écailles, écumes jusqu’à ce / misérable embarcadère / habité par un peuple / attristé par d’indigènes habitudes.» C’est cette œuvre que Giulia Camin et Benoît Casas ont choisi de faire découvrir, non pas en traduisant un recueil mais en parcourant toute la production de Cattafi et en retenant les textes ayant «un lien, explicite ou allusif, à la Sicile», expliquent les deux traducteurs dans leur préface. Eau de poulpe est ainsi autant un aperçu du travail du poète qu’un portrait d’une île battue par le vent et la mer, peuplée de souvenirs comme de mythes, où toujours «on est moitié dedans moitié dehors / d’un clair chapitre d’histoire». G.Le.
Bartolo Cattafi, Eau de poulpe, bilingue, trad. Giulia Camin et Benoît Casas, éditions Nous, 144 pp., 16 euros.
Pour les sauvages
C’est une exploration, celle d’anciens chemins envahis par une végétation sauvage, une marche à travers forêts et champs. Ce sont les paysages sauvages du Périgord noir natal dans lequel Jérémie Decottignies puise l’inspiration de son premier livre, de lieux-dits en cours d’eau. On suit l’homme qui avance, tout à son errance mystique, accompagné des magies ancestrales qui le guident – «combuste», en astrologie antique, renvoie au fait d’être à la fois «invisible et brûlé par le soleil». Alternant prose et vers, le poète porte «la parole du solitaire» : «Je marche avec les autres animaux, n’importe où. / La lune est suffisante. / Herbe haute. Puis des roseraies, des ronces où passent les chasseurs.» Une poésie moussue et solaire. C.Px
Jérémie Decottignies, Combuste, éd. Frison-Roche Belles-Lettres, 123 pp., 17 euros.
Pour les mélomanes
Lire la prose de Maxime Viande c’est se heurter à une langue hachée, saccadée, comme un disque rayé ou un chatbot un peu perturbé. Mais cette poésie délibérément déconstruite sans être déstructurée, qui a donné ce printemps un premier recueil A vif (éd. de la Crypte) et que le jeune poète performe avec aisance – on peut l’entendre dans les soirées Cargo qu’il coorganise à Paris – n’est pas un repoussoir. Au contraire : elle invite le lecteur à se glisser dans l’esprit écorché de l’auteur, du moins l’accompagner dans sa marche sans but précis, qui est au passage un sacré défi de mise en page pour l’éditeur. Et ça marche : on se laisse emporter dans ses errances sans grande difficulté. Voyez plutôt : «Mon ca / p est radical je m / arche /‚ / m’ache / mine à tra / vers champs, vers / je ne sais / trop où, tro / ttine / …» C’est rythmé et musical, la proposition tout aussi barrée mais l’ensemble est convaincant. A avaler comme à écouter si vous avez la chance d’en avoir l’occasion. F.Ba.
Maxime Viande, A vif, éd. de La Crypte, 74 pp., 15 euros.
Pour les petits
Mais en fait, c’est quoi la poésie ? Quelque chose de très compliqué ou de très simple, une porte, un pont, une note, une fanfare ? Comme les enfants ont 1 000 questions et que celle-là appelle 1 000 réponses, le poète Thomas Vinau en a fait un livre, accompagné par les peintures douces et colorées de Marc Majewski. Alors quoi ? «Et si elle était un passage secret / parfois raccourci parfois détour / pour apprendre à se perdre» ; «une porte spatio-temporelle» ; «un collectionneur attentif / à ne surtout pas tuer / le papillon attrapé» ; «ce drôle de magicien / qui ne se transforme jamais comme il veut / toujours à se tromper de formule»… C’est un jeu, une blague, une lettre, une enquête, elle peut prendre toutes les formes, et à la fin, c’est toi qui décides. Un livre-poème autant qu’un mode d’emploi, bonne manière de mettre de la poésie au rayon jeunesse. C.Px