C’est tout petit, mais elle ne voit que ça. Un bouton ! Un bouton sur le menton immaculé de Harmony Meads, et son monde s’écroule. D’où vient-il ? Comment a-t-il pu s’installer là ? Car Harmony Meads a tout prévu pour éviter ce genre de souci. Dans la société anglaise du futur proche où elle vit, des nanomachines injectées dans l’organisme permettent de faire en permanence des bilans de santé et de prévenir les malaises à venir. Encore mieux : des «extensions» permettent de se modeler au-delà du nécessaire et de rehausser les seins tombants, raffermir les fesses molles, aplanir les ventres rebondis… Toujours mieux : il est possible aussi de développer ses capacités sexuelles, sa résistance à l’alcool, ses talents artistiques, le brio de sa conversation… Harmony se laisse griser. Elle devient la compagne d’un homme aussi parfait qu’elle, triomphe professionnellement (elle travaille dans l’immobilier, où un joli minois et un corps de rêve facilitent grandement la séduction de l’acheteur) et achète à tour de bras de nouvelles extensions. Mais… Mais tout ceci a un coût, bien sûr, et Harmony se retrouve vite endettée. D’un coup, ses extensions sont coupées, le surendettement la ligote et il lui faut tenter de redécouvrir une humanité plus «naturelle» et répondre à la dégradation de l’état de santé de sa mère.
Sourire crispé
Sweet harmony pourrait servir de base à un épisode de Black Mirror. Comme la célèbre série, elle ne nous projette pas dans un monde totalement inventé mais se contente de pousser un peu plus loin le curseur des excès du nôtre. Quiconque a récemment regardé une série avec des actrices (Nicole Kidman, bien sûr, mais elle n’est pas la seule…) au faciès pathétiquement lissé, donnant l’air d’avoir trente ans à une femme qui frôle la soixantaine et lui interdisant toute expression autre que le sourire crispé, ne pourra que constater à quel point la réalité est proche de la fiction. Claire North généralise ces excès encore minoritaires.
Mais elle ne s’en tient pas à cette dénonciation de la société des apparences. Sweet Harmony s’attaque aussi aux dérives d’un système de santé qui ne pense que rentabilité et sacrifie les soins premiers à la marchandisation. Cette gangrène s’insinue aussi dans les rapports humains, et favorise l’emprise d’un être sur un autre, permettant à Jiannis, petit ami d’Harmony, de la modeler à son gré. Le seul reproche que l’on pourrait faire à Claire North est de nous offrir ces variations brillantes sur un thème qui n’est pas très neuf. Mais l’autrice, également connue sous les noms de Catherine Webb et Kate Griffin, confirme avec ce court roman son aisance à passer d’un genre à l’autre, nous offrant cette implacable fable après nous avoir régalés en 2022 et 2023 de la très réjouissante et très différente trilogie la Maison des jeux.