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Libération
Beaux livres

Cléopâtre et Diane de Poitiers au casting de «la Folle Histoire du rouge à lèvres»

Une saga de Rachel Kahn et Christophe Fort sur le fameux bâtonnet.
Dans une usine de cosmétiques. (Humensis )
publié le 8 décembre 2023 à 12h00

Rédigée dans un vocabulaire actuel, au risque de l’anachronisme, servie par de belles illustrations qui osent recréer les visages de Diane de Poitiers ou d’Elisabeth Ière, cette «saga du rouge à lèvres», débutée en 3000 ans avant J.-C., se ferme sur la présente utilisation du cosmétique par les deux sexes, à des fins émancipatrices et subversives. L’originalité de cet ouvrage est d’être aussi plaisant – marque de fabrique des deux autrices qui appartiennent au monde de la création télévisuelle –, que savant, car nourri des travaux des historiens et d’interviews d’anthropologue, psychanalyste, écrivain et de ceux et celles qui gravitent autour du fameux bâtonnet.

Taux de plomb et de mercure

Son histoire n’est pas linéaire, tant son usage a toujours eu une portée sociale, genrée, voire politique. A preuve : pour Cléopâtre, cette pâte à base de fourmis est «un marqueur de pouvoir et un lien spirituel avec l’au-delà», pour la bourgeoisie pudibonde du XIXe siècle, le rouge à lèvres, démocratisé par la chimie de synthèse, identifie des femmes de mauvaise vie ! Ainsi est prolongée la condamnation de Platon pour qui le maquillage est «une activité perverse, trompeuse, vulgaire et servile». Néanmoins, à partir du Ve siècle avant J.-C., les médecins prêtent au rouge à lèvres les bienfaits d’un baume protecteur. C’est au contraire sa nocivité qui alarme leurs confrères du Grand Siècle car ses composants sont les mêmes que ceux de la peinture, et ce au moment où les cosmétiques sont mieux acceptés, du moins par l’élite sociale, et pas seulement par les femmes. Alors que les progrès de l’hygiène dentaire invitent à sourire de toutes ses dents, le rouge à lèvres continue de mettre en danger la santé, en raison de son taux de plomb et de mercure ; aussi, ce maquillage adopte des couleurs plus douces. Si la Révolution, soucieuse de bannir les pratiques de l’Ancien Régime, ouvre une nouvelle séquence de cette histoire, celle de l’industrie intensifie la production. Dès lors, le débat sur le rouge à lèvres tourne autour de la liberté des femmes : prises au piège, selon les uns, des assignations genrées, amplifiées par la société de consommation, leur échappant, selon les autres, en affichant leurs propres canons de beauté et en individualisant leur personnalité.

Rachel Kahn & Christophe Fort, la Folle Histoire du rouge à lèvres, Herscher, 202 pp., 29 €.