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Thomas Bronnec aime décidément naviguer contre l’air du temps, en eaux troubles, et bousculer le politiquement correct. Après avoir dénoncé le règne d’une dictature verte et d’une société française maintenue sous cloche dans Collapsus (Série noire /Gallimard, 2022), le voilà qui s’attaque aux féministes dans une nouvelle dystopie policière, Coliseum, très intelligemment construite et fort bien documentée sur le monde politique, un monde qu’il ne semble pas tenir en très haute estime.
Trois jours d’exhibition
L’intrigue se situe en 2028, c’est-à-dire demain. L’essentiel de l’histoire se déroule à la Plaine Saint-Denis, au nord de Paris, là où les chaînes de télévision produisent leurs émissions de téléréalité. L’une d’elles s’apprête à démarrer, «The One», copiée sur le show emblématique du début de ce siècle, Loft Story. Sauf que Loana et ses comparses ont été remplacés par quatre personnalités politiques du camp de la majorité, deux hommes et deux femmes, candidats à l’élection présidentielle. Une idée initiée, dans une période de crise démocratique aiguë, par le président de la République : «L’intelligence de Damien Clairville, une sorte de social-libéral bonhomme assez mal à l’aise dans une époque qui réclamait du radicalisme, avait été de comprendre qu’il ne pourrait rien faire du pouvoir dont il avait hérité. L’homme était cultivé et il savait qu’à travers l’Histoire tous les groupes sociaux qui avaient subi les révolutions avaient été perdants. Les changements, il fallait les accompagner et, même, les provoquer. […] Avant même les élections législatives, il avait annoncé la tenue d’une “convention citoyenne pour repenser le processus démocratique”. […] Puisque l’élection ne permettait plus l’exercice de la démocratie, il fallait en finir avec l’élection. Il avait fallu plus de temps pour trouver par quoi la remplacer. Mais un consensus s’était dessiné au fil des débats parmi les cent Français. Le président devait être, à terme, choisi lors d’une émission de télévision.»
The One est donc la primaire de la majorité. Celui ou celle qui sera choisi par le public à l’issue de ces trois jours d’exhibition concourra à la prochaine présidentielle. Les candidats sont tous très différents. Yann Privat est un homme sans grande envergure, Muriel Brey une sexagénaire plutôt traditionnelle et plus maligne qu’elle en a l’air, Nora Sadaoui une femme d’affaires à l’allure de bimbo et à l’ambition dévorante, et enfin Nathan Calandreau un ancien ministre déchu qui rêve de revenir au pouvoir. Ce dernier est accessoirement l’ancien amant d’une des productrices de l’émission.
Entreprise de vengeance
Tout irait pour le mieux – ou plutôt pour le plus mal – dans cette sorte de cage de la Seine-Saint-Denis où chaque candidat va devoir faire preuve d’ingéniosité pour tuer symboliquement les trois autres si, au même moment, un groupuscule féministe radical n’avait entrepris de venger chaque féminicide commis en tuant un homme au hasard, ou presque. «Trois hommes ont été tués dans les dernières semaines. Ils ne sont pas morts pour rien, va bientôt indiquer un communiqué rédigé par l’une d’elles. Ils sont morts parce que trois femmes avaient été tuées. Ces hommes n’avaient rien demandé ? Ces femmes non plus. Et nous continuerons. Chaque fois qu’une femme mourra sous les coups d’un homme, un homme mourra sous nos coups.» Ce que le petit groupe ne sait pas, c’est que l’une d’entre elles envisage de se venger d’un homme en particulier, qui l’a agressée autrefois, et cet homme participe précisément à The One. Elle compte bien l’atteindre indirectement tandis qu’il clame dans la cage, face au public, que son objectif est de «rassembler» (tiens, tiens, on entend beaucoup ça aussi, ces temps-ci) : «Il est terminé le temps du “en même temps”. […] La gauche est devenue une caricature de ce qu’elle était dans les années 70, outrancière et démagogique. La droite républicaine, elle, se fait avaler par l’extrême droite et, pour survivre, elle s’aligne sur ses thèses en faisant semblant de croire que c’est ce qui va lui permettre de survivre.» Un vrai roman noir d’actualité.
Thomas Bronnec connaît son sujet, il suit les affaires politiques et les déchirements de la société de son poste de journaliste à Ouest-France. Et il commence à avoir une œuvre conséquente de polars politiques à son actif. Ses derniers romans, les Initiés (Série noire, 2015), En pays conquis (Série noire, 2017) et la Meute (Equinox /les Arènes, 2019) formaient déjà une trilogie sur les élites françaises et leurs compromissions à l’épreuve du pouvoir.