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David Lespiau a l’art des titres. Les siens se tiennent souvent sur le seuil entre la clarté et le mystère, y gagnant une grande puissance d’évocation. Après notamment Djinn jaune (2008), Oh un lieu d’épuisement (2009), Nous avions (2014), équilibre libellule niveau (2017), l’auteur vient de signer chez Héros-Limite Une danse pour les doigts humains.
Ce titre peut se lire d’abord comme le programme formel du livre : on y voit, en effet, sur la page, de courtes strophes de cinq vers de longueurs inégales qui peuvent être vus comme des représentations de mains, les cinq doigts plus ou moins dépliés. Comme pour les peintures préhistoriques sur les parois des grottes, les cent poèmes qui le composent donnent ainsi un rythme énigmatique, graphique, au déroulement du recueil.
«non non c’est muet
c’est une partition pour mots muets
ce qui s‘étend naturellement
quand on regarde
ce qui est écrit»
Mais la «danse des doigts humains» du titre est aussi une citation, celle de la définition du piano par le philosophe Ludwig Wittgenstein (1889-1951). Il sera donc question, ici, de musique et de composition. D’ailleurs les cent mesures de cette «danse» sont suivies par un ensemble plus court procédant de la même forme et intitulé Musique seul.
Une petite symphonie
Les poèmes à cinq doigts du livre s’attachent à coller l’un à l’autre des fragments de langage qui sonnent ensemble. Chacun est ainsi une petite symphonie efficace, façonnée autant – on le sent à la lecture – à partir de vers dus à l’invention du poète que de bouts de phrases entendus et collectés au passage. David Lespiau s’en amuse en collant sous le mot de «centon», qui désigne une forme littéraire – ou musicale – faite de citations, une allusion à la plus célèbre des comédies musicales américaines.
«centons
sous la pluie elle
le palpe combien de divisions ?
combien d’octaves ?
jusqu’à l’entorse glissée»
L’ensemble forme à la fois un jeu et une réflexion sur la composition et le rythme, avec un toucher qui n’est jamais appuyé – ce qui constitue l’une des manières de David Lespiau. Une poésie qui donnerait à entendre l’équilibre enfin envisagé entre le vacarme du monde et la propre musique intérieure de chacun :
«c’est pourquoi sans compter
ni faire exception
faut pas mettre ou charger, insérer
du bruit dans une ligne qui elle
suppose de la solitude», indique le fragment 30. En face, le 31 poursuit et appuie :
«elle
suppose de la solitude
et pas seulement
de la consolation
la consonance»