Mississippi, 1932. «Admire-moi le tableau : ces superbes loosers agglutinés comme des flageolets en sauce, ces trognes de contrefaçon qui n’osent même plus se refléter dans un miroir. Mate-moi un peu ces mains, noires et usées – mains de ramasseurs de coton, de péons, de bûcherons, de flambeurs. Nulle part tu ne trouveras pareille concentration de damnés à l’hectare. […] Chanteur de blues dans ce genre de rade, c’est une sacrée responsabilité. Tu veilles sur des dizaines d’âmes, tu les aides à traverser des récifs d’émotion et tu dois les embellir, les récurer de l’intérieur. T’es le garant de la beauté de la race, mon vieux !»
Parce que la vie hors ces murs, une fois passés la touffeur du dancefloor fatigué et l’étourdissement de l’alcool de contrebande, se rit bien de la beauté. «Les gosses grandissent trop vite, les fillettes voient leur ventre s’arrondir avant d’avoir résolu les énigmes de l’âge tendre. La faim oblige et la misère accule. Le sang s’entaille jusqu’au sang.» Tous sont victimes de «l’antique malédiction», ils ont «commis le crime de naître nus, de naître noirs et de croire à l’horloge infaillible des saisons». Autant d’âmes nobles ou perdues, mais toutes de sang blues.
Tisser les talismans et convoquer les esprits
Il y a Steve et Betty qui s’aiment dans les franges de la pureté, c’est-à-dire autant qu’on puisse en approcher. Quand Steve rentre de la boulangerie où il trime depuis qu’il a une dizaine d’années, il sait que «d’une simple parole, elle [vengera] sa