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Un mulot, un chien, un lion, un blaireau, un corbeau… Les animaux humanisés dans la littérature jeunesse sont de tous plumes et tous poils. Anaïs Vaugelade cultive carrément une famille de cochons, les Quichon, depuis près d’une dizaine d’années. Sa série a démarré avec les aventures de la mère, Maman Quichon se fâche (2004), qui veille sur pas moins de 73 petits cochons. Il a de quoi nourrir des histoires pour une existence de lecteur jusqu’à 77 ans. Le père a parfois eu des envies d’échappées, voir la Vie rêvée de papa Quichon (2006). Ce mois-ci, c’est Khaïm qui tient la vedette, dans Khaïm Quichon lit un livre. Khaïm a le caractère le plus paisible de la fratrie, et il aime se plonger dans des aventures extraordinaires. Pas simple, vu la masse de frères et de sœurs qui s’agitent dans la maisonnée. Même si aucun son ne sort des pages, on imagine bien le bazar. Le voilà assis sur le canapé du salon, un livre entre les mains, insensibles au bruit environnant, magie de l’absorption que suscite une bonne histoire. Anaïs Vaugelade joue la mise en abyme : le héros du livre qu’il a entre les mains n’est pas un petit cochon, mais un bouc. On peut comprendre là la fonction d’un personnage différent de celui qui s’y projette, comme le pratique donc largement la littérature jeunesse. Raison supplémentaire pour Khaïm de s’envoler de cet univers sans se sentir retenu par son quotidien et ce qui lui ressemble, dans quelque chose de plus universel, et partir en avion avec le jeune bouc à travers les airs.
Autre mise en abyme : le jeune bouc finit sur un îlot tel Robinson, se façonnant une cabane de son avion brisé en deux, pour… écrire le récit de ce qu’il vient de vivre, et que Khaïm dévore sans un regard pour la sœur qui s’est assise à côté de lui. Le charme de la lecture continue à agir quand il s’agit d’aller au lit, les rêves de Khaïm ont la couleur du voyage du jeune bouc. Ce n’est malheureusement pas le cas de son frère Gaëtan, assailli par un monstre nocturne, dans le Cauchemar de Gaëtan, réédité en même temps. La bête se jette sur lui pour l’avaler, cauchemar abruptement réaliste. Loin de la légèreté de son trait et du rose délicat qui pare ses cochons, Anaïs Vaugelade a conçu un monstre gris informe et à la bouche énorme. Si l’imagination ne peut pas sauver Gaëtan, son esprit pragmatique lui permettra de venir à bout de la peur et de l’horrible invasion.
Dans la série de l’autrice Martine Arpin et de l’illustrateur Jean-Claude Alphen, on a affaire à un petit ornithorynque courageux. Dans le précédent album, Philémon à la mer (2022), il allait se mettre à l’eau avec l’aide de son père. Là, il entreprend une partie de cache-cache avec Marius dans la forêt. C’est son ami qui égrène le compte à rebours pendant qu’il doit trouver une bonne cachette. Ni derrière le rocher trop petit, ni derrière le palmier trop étroit, ni derrière la feuille trop dentelée… On ne dira pas où Philémon s’est finalement planqué, un endroit un peu inconfortable, où il a un peu peur. Le beau dessin de Jean-Claude Alphen envahit l’espace, pour représenter la luxuriance boisée, avec même un dégagement maritime. Au milieu, trois animaux de différentes espèces, qui disent aussi que la diversité permet les meilleures amitiés.