En 2005, un artiste de 40 ans devenu écrivain publiait Autoportrait (P.O.L), une performance qui reste une révélation. Edouard Levé créait une forme autobiographique qu’il expérimentait de façon aussi efficace que non reproductible : en enchaînant des phrases fermes et neutres, apparemment par hasard et par intuition, qui constituaient en creux un portrait tendu, éclaté, de l’auteur. Chaque phrase était un constat. Leur farandole avait l’allure d’un champ de cendres tout juste refroidies. Le sujet brûlait, mais décapé de tout enduit subjectif, de tout jugement, et, naturellement, de tout moralisme sentimental. Ça débutait comme ça : «Adolescent, je croyais que La vie mode d’emploi m’aiderait à vivre, et Suicide mode d’emploi à mourir. J’ai passé trois ans et trois mois à l’étranger. Je préfère regarder sur ma gauche. Un de mes amis jouit dans la trahison.» Et ainsi de suite, sur 91 pages. Je était l’autre qu’on observe dans un miroir, et ce miroir ne pouvait être contemplé que par le biais du concept.
Deux ans plus tard, Edouard Levé se pendait. Il le fit selon un dispositif qui contresignait aussi bien ses textes que ses photos où des personnages vêtus de noir, comme des mannequins, présentent des situations que le spectateur peut, à son gré, interpréter et transformer en fictions. Ensuite, son éditeur publia Suicide, texte rendu juste a