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Depuis presque vingt ans, Elke de Rijcke distille une poésie des sens. Elle se touche, se regarde, s’entend, se sent et se goutte. Elle est entièrement dévouée aux émotions et à la perception. Sensuelle évidemment, sensitive bien que parfois extrasensorielle, mais bien plus que cela. Déployée dans cinq recueils à ce jour (Troubles, 120 précisions. expériences ; Gouttes ! lacets, pieds presque proliférants sous le soleil de poche ; Västeras ; Quarantaine ; et Juin sur avril) chez différents éditeurs, elle est aussi une exploration des formes plurielles du désir, qu’il soit amoureux, sexuel, maternel, amical, etc. Aussi bien sa traduction poétique que sa quête langagière.
Voyez avec ces quelques vers : «tes bras / qui m’enlacent, / bras autour/ de ma ceinture, / coulent le long de mes jambes, / blanc, blanc liquide, blanche salive» ou encore «ai-je été pour vous / le rassemblement d’à peine baisers, de seuls affleurements ?»
Parue ce mois d’octobre, la première anthologie de la poétesse belge installée à Bruxelles, Et puis, soudain, il carillonne, condense ce travail empirique riche, matérialisé par des poèmes en vers libres. Sur l’expérience de la maternité naissante, avant le langage, par exemple : «dans ta ville tu pleures / mais sans sanglots ton petit corps / éclate et / tout est poussé vers les côtés. […] à l’intérieur explose à / fleur de peau, tu fais taureau / sur rouge et moi muette / je ne saisis / ce qui est là-dedans.» Le lexique ne trompe guère : avec l’autrice et traductrice flamande bilingue, qui écrit ici en français, tout est affaire de mouvements, de juxtaposition, d’incertitude, de précarité, de surgissement, de déplacement, de mutation, de tergiversation. Une tentative de saisir une intériorité à l’instant t, au diapason de son propre environnement.
Et puis, soudain, il carillonne, Elke de Rijcke, éd. LansKine, 240 pages, 12 euros.
L’extrait
A l’heure de la conquête animal se lève
seule.
seule moi, moi seule.
donnée et conquise avant la lettre.
mon corps de cierge est denté,
offrande.
de votre mèche je prends, de votre goût
je goûte,
le moi brûle et du brûlé
je suis le sujet officinal.
je perds mon poids. non, ainsi.
ceci n’est pas tenable.
l’offensive suburbaine de votre cœur,
pourquoi êtes-vous venu ?
venu
à jouir de mon lieu,
de mon visage à prendre.
le vôtre feu, et,
venir,
que vous jouiez,
subterfuges,
vous veniez en douche me laissant venir
jusqu’à vous, à jeu caché :
vous êtes le retrait de l’avancée.
de votre bouche vous ne souriez.