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Roman

Emmanuelle Heidsieck, c’est pas la joie pour sa bourgeoise

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Le cahier Livres de Libédossier
Dans «Il faut y aller maintenant», la romancière met sur la route de l’exil, par temps de dictature, une riche veuve de gauche.
Emmanuelle Heidsieck. Son héroïne parisienne vit sous une dictature, quelque chose comme le Chili de Pinochet, un «mélange d’ultralibéralisme et d’Etat policier» antisémite et islamophobe. (Claire Moliterni)
publié le 7 janvier 2023 à 4h08

C’est un récit de chambre, comme on dit musique de chambre. Il n’y a même qu’un instrument : la voix d’une septuagénaire, grande bourgeoise veuve, qui s’adresse à une autre femme, Aida, qui fut la nourrice des ses enfants et dont on n’entend jamais les réponses. Efficacité dramatique éprouvée depuis la Voix humaine de Jean Cocteau : le dialogue c’est le malentendu ; le monologue, le suspense et la mort en vue.

Les deux femmes attendent le mari d’Aida qui doit venir les chercher pour les emmener à l’aéroport du Bourget. De là, elles fuiront pour l’île Maurice dont est originaire Aida. Le mari est en retard : se serait-il fait arrêter ? En effet, dans cette France proche de nous, un coup d’Etat a imposé une dictature à laquelle les partis de droite et d’extrême droite souscrivent – quelque chose comme le Chili de Pinochet, un «mélange d’ultralibéralisme et d’Etat policier» antisémite et islamophobe. Tout au long de la première partie de son texte, Emmanuelle Heidsieck tisse la toile très vraisemblable qui relie nos assentiments et indifférences à ce régime d’où toute voix discordante est éliminée : «Il fallait être dans une forme de déni pour ne pas s’inquiéter, ne pas s’affoler.»

De quoi l’héroïne est-elle coupable ? D’avoir cuisiné pour des migrants, pense-t-elle. Un de ses amis a été exécuté pour cause de proximité avec l’Ecole d’économie de Paris. Son premier mari a fui depuis longtemps pour Montréal mais si elle-même n’est «pas arrivée à parti