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Libération
Récompense

Emprisonné, l’écrivain Boualem Sansal reçoit un prix saluant sa «parole libre»

Le Franco-Algérien, condamné à vingt-sept ans de détention notamment pour atteinte à l’intégrité du territoire, a été honoré du prix littéraire Cino del Duca, ce mercredi 21 mai.
Boualem Sansal,en octobre 2015. (Denis Allard/Leextra.Opale)
publié le 21 mai 2025 à 11h47

Boualem Sansal, emprisonné en Algérie depuis six mois, a reçu ce mercredi 21 mai le prix mondial Cino del Duca, récompense littéraire française rendant hommage à «la force d’un écrivain qui […] continue de faire entendre une parole libre». Récompensé pour l’ensemble de son œuvre, Sansal rejoint ainsi au palmarès des auteurs comme Andreï Sakharov, Léopold Sédar Senghor, Jorge Luis Borges ou Milan Kundera. Kamel Daoud avait également obtenu ce prix en 2019.

Doté de 200 000 euros par la fondation Simone et Cino del Duca (un éditeur de presse franco-italien), ce prix «rend hommage à la force d’un écrivain qui, par-delà les frontières et les censures, continue de faire entendre une parole libre, profondément humaniste et résolument nécessaire», a indiqué le jury dans un communiqué. Le principe du prix, créé en 1969, est de «couronner la carrière d’un auteur français ou étranger dont l’œuvre constitue, sous forme scientifique ou littéraire, un message d’humanisme moderne».

Boualem Sansal, écrivain franco-algérien âgé de 80 ans, est en détention depuis son arrestation mi-novembre à l’aéroport d’Alger. Il a été condamné le 27 mars à cinq ans de prison, notamment pour des déclarations en octobre au média français d’extrême droite Frontières, où il estimait que l’Algérie avait hérité sous la colonisation française de territoires appartenant jusque-là au Maroc. L’éditeur de Boualem Sansal, Gallimard, lui a fourni un avocat français qui n’a jamais obtenu de visa pour pouvoir assurer sa défense. Un procès en appel est prévu le 24 juin.

L’écrivain est l’objet d’une lutte diplomatique entre l’Algérie et la France. Alger estime que la justice a suivi son cours normal, tandis que Paris appelle à un «geste d’humanité» envers un homme atteint d’un cancer. Tout ça dans un contexte où les deux pays traversent depuis l’été 2024 une crise diplomatique, considérée comme l’une des plus graves depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962. Elle est marquée par le gel de toute coopération, et dernièrement par une nouvelle série d’expulsions de fonctionnaires de part et d’autre.

«Liberté de création»

«Romancier majeur de la scène francophone, Boualem Sansal s’est imposé au fil des années comme une voix incontournable de la littérature contemporaine, a estimé le jury du prix Cino del Duca. Avec un courage rare et une plume d’une grande élégance, son œuvre traduit son engagement indéfectible envers notre langue commune et les valeurs qu’elle porte. Par ce choix, le jury rappelle également son attachement à la liberté de création et de publication, à la protection de la vie culturelle et du débat intellectuel.»

Ce jury est composé de 14 membres, dont 12 issus des cinq académies composant l’Institut de France. Son président est le secrétaire perpétuel de l’Académie française, l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf. Le prix doit par ailleurs être remis «sous la Coupole de l’Institut de France lors de la séance solennelle de remise des grands prix des fondations de l’Institut, le 18 juin», a indiqué la fondation Simone et Cino del Duca. Les modalités de cette remise restent à déterminer.

Grand prix de la francophonie

Boualem Sansal a fait son entrée en littérature avec le Serment des barbares, en 1999, où il relate l’influence croissante des intégristes dans une société algérienne où règnent violence, peur et corruption. Publié par Gallimard à Paris, ce premier roman a été très bien accueilli en France. En Algérie, où la littérature francophone voit sa place se réduire, Sansal restera peu connu du grand public. Son œuvre comprend le Village de l’Allemand, censuré en Algérie car dressant un parallèle entre islamisme et nazisme, ou Rue Darwin.

En 2013, l’Académie française lui a décerné le grand prix de la francophonie. Puis en 2015, elle lui remet le grand prix du roman pour 2084. S’inspirant du chef-d’œuvre de George Orwell 1984, le romancier y prédit une arrivée de l’islamisme en Abistan, où l’on doit prier neuf fois par jour.