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En librairies cette semaine : Louise Glück, Patrick Varetz, Olivier Wieviorka…

Une broderie, un homme amoureux, des poèmes pour l’hiver, une somme sur la Seconde Guerre mondiale et un hommage au philosophe Nicolas Grimaldi.
En librairie cette semaine. (DR)
publié le 10 novembre 2023 à 12h53

Récit

Patrick Varetz, le Canevas sans visage

Cours toujours, 96 pp., 14 €.

Nous sommes en 1975. Une sexagénaire pas commode, Léona, conjure le vide de ses journées avec une activité qui n’est pas son genre, même si «les travaux d’aiguille ça la connaît» : elle brode. Le canevas (reproduit à la fin) représente un fier mineur. Quand elle aura fini, elle s’envolera pour les Baléares. Ancienne infirmière, elle a appris son métier pendant la guerre au côté du médecin, «le gros Caudron», devenu son amant. Il continue à lui rendre visite, afin de lui raconter ses frasques. Léona est veuve depuis sept ans d’un homme discret, toujours en cravate. Il ne descendait pas dans la mine, il a fait toute sa carrière dans les bureaux. Attaquant le visage, sur sa broderie, l’ancienne infirmière efface les réminiscences en choisissant un fil noir. Nous connaissons son fils, Daniel, qu’elle déteste, et son petit-fils : ils sont au centre des romans de Patrick Varetz. Lequel indique que «la photographie qui clôt ce récit est celle de Léona Varetz, infirmière auxiliaire de la Compagnie des mines de Marles, ma grand-mère. Ce texte est en quelque sorte dédié à sa mémoire». Paraît dans une collection, «La vie rêvée des choses», qui invite des écrivains à revisiter «des choses ou des objets emblématiques du Nord de la France». Cl.D.

Romans

Jérôme Aumont, Un empêchement

Bourgois, 232 pp., 20 € (ebook : 15,99 €).

L’attente amoureuse n’est pas réservée aux femmes ; elle fait souffrir tout le monde. Lorsque Xavier tombe amoureux de Mathieu, marié avec Marie et père de Jeanne, il passe son temps à attendre. Mathieu, DRH dans une grande entreprise, jongle avec son emploi du temps pour voir Xavier. Un grave ­accident de voiture fait bouger les équilibres. Classique mais juste, ce premier roman met en scène un trio amoureux et son cortège d’affects : le manque, l’impatience, ­l’irritabilité, l’aveuglement volontaire, la jalousie, la ­culpabilité, le désir. Entre les hommes, il est fort : «Nos corps se sont rencontrés boulevard Malesherbes. Tu m’attendais au pied de l’immeuble. Ton sourire marquait mal ce mélange de gêne et d’excitation. Cette impudeur de l’instant. Nous étions déjà nus sur ce trottoir parisien.» Entre Mathieu et Marie, il ne pèse pas grand-chose, et ce depuis le début de leur mariage. Cette absence, l’auteur sait la mettre en mots : «Rien ne justifiait de s’effacer ainsi alors que son corps aurait dû en faire des tonnes. Je ne comprenais pas.» V.B.-L.

Poésie

Louise Glück, Recueil collectif de recettes d’hiver

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie Olivier. Gallimard, 96 pp., 16,50 € (ebook : 11,99 €).

Ce recueil, publié aux Etats-Unis en 2021 et qui restera comme le dernier de Louise Glück, décédée le 13 octobre à 80 ans, ne parle pas seulement de l’hiver. Un poème en son sein s’intitule «Automne», c’est de saison : «La vie, dit ma sœur, /c’est comme une torche qui passe maintenant /du corps à l’esprit.» Le livre a la forme minimaliste de la poétesse nobélisée en 2020, mais celle-ci s’y révèle plus narrative qu’à l’accoutumée. Un passeport oublié au cours d’un voyage et voilà la narratrice contrainte de rester à l’hôtel, cependant que son compagnon poursuit sa route. «Le concierge, je m’en aperçus, se tenait à côté de moi. /Ne soyez pas triste, dit-il. Vous avez commencé votre propre voyage, /non pas dans le monde, à l’instar de votre ami, mais en vous-même /et vos souvenirs.» Il y a une façon de ramasser les choses et d’ouvrir des abîmes de profondeur avec une singulière économie de moyens. A l’issue d’«Une histoire sans fin» : «C’est pour ça qu’on cherche /l’amour. /On le cherche toute notre vie, /même après l’avoir trouvé.» En édition bilingue, si bien que se reflète symétriquement la beauté originale de la voix : «This is why we search for love. /We search for it all of our lives, /even after we find it.» T.St.

Histoire

Olivier Wieviorka, Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale

Perrin /Ministère des Armées, 1072 pp., 29 € (ebook : 19,99 €).

Si les ouvrages consacrés à la Seconde Guerre mondiale ne manquent pas, il n’existait pas de synthèse globale qui prenne en compte, au-delà du militaire et du stratégique, leur interconnexion avec l’économie, la logistique, la technologie, la politique, l’idéologie, mais aussi les ­dimensions culturelles, sociales et racistes. Fruit de dix ans de travail, cette magistrale Histoire totale de la ­Seconde Guerre mondiale aborde aussi l’Asie-Pacifique souvent négligée, l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient. Prenant en compte les derniers acquis «d’une historiographie en constant renouvellement», le livre emprunte la forme du récit fluide et analytique pour saisir «les rationalités qui ­animaient les protagonistes». Ce conflit qui causa 60 à 70 millions de morts (dont 5 à 6 millions de Juifs), pour la première fois majoritairement civils, eut «des effets ­durables sur le second XXe siècle» et «adresse des questions ­essentielles aux contemporains». Olivier Wieviorka, professeur à l’Ecole normale supérieure de Paris-Saclay, collaborateur de Libération, a placé cette somme sous les auspices de René Char, puisque «nous sommes écartelés entre l’avidité de connaître et le désespoir d’avoir connu». F.Rl

Revue

Critique, Nicolas Grimaldi, contemporain à contretemps

N° 918, Novembre 2023, Minuit, 96 pp., 12 €.

Très heureuse initiative de la rédaction de Critique que de consacrer sa livraison d’automne à Nicolas Grimaldi, qui fut un grand professeur de la Sorbonne, enchanteur par son verbe virtuose de générations d’étudiants («l’autre Jankélévitch», disait-on de lui), mais qui, malgré une œuvre considérable (qu’à 90 ans il continue de nourrir), reste toujours «en retrait». Si les philosophes n’ont qu’une seule chose à dire, mais en donnent les déclinaisons toute leur vie, Grimaldi, lui, n’aura cessé de répéter que la conscience est «attente», et tiré de cette proposition en apparence bien simple tous les ressorts pour étudier aussi bien Proust que les métamorphoses de l’amour, Descartes, la jalousie, l’esthétique de Van Gogh, la solitude, la banalité, le vide, la liberté, le crépuscule de la démocratie, le ­désenchantement… Réunis par Fabrice Colonna, les ­textes (Didier Cartier, Anne-Claire Désesquelles…) mettent en évidence la profondeur et la cohérence de son œuvre. R.M.