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Parutions

En librairies : Viktor Lazlo, Sophie Avon, Stéphane Encel…

Le cahier Livres de Libédossier
Dans la sélection de livres cette semaine : une chamane armée d’un homard, des incendies dans les Landes, un groupe d’agitateurs nantais, une cabane en Alaska et Dieu…
publié le 22 mars 2024 à 16h15

Romans

Alexandre Labruffe, Cold case

Verticales, 224 pp., 20 €.

Un jour, dans un bar parisien, la compagne du narrateur lui raconte une curieuse histoire. Minkyung, coréenne, commet en français des fautes charmantes pieusement recueillies par son interlocuteur : «J’ai un oncle congelé. Il est deadcédé à Toronto vers 1970. On l’a retrouvé freezé, une nuit. Il s’était chappé de l’hôpital sick-iatrique.» D’où le titre du roman, cinquième livre de Labruffe : Cold Case. La mort de l’oncle, retrouvé recroquevillé au fond d’une bouche d’aération, par une nuit d’hiver, est dans la famille de Minkyung «une légende trouée» qu’il faut mettre au clair. Pourquoi ce migrant s’était-il retrouvé en hôpital psychiatrique, après avoir échoué à faire fortune au Canada en compagnie de ses deux frères ? Et en quoi le fait que le père de Minkyung soit lui-même interné (à Busan, ville du Sud) des décennies plus tard, serait-il lié à cette disparition ? Il y a un autre cadavre, une sœur suicidée après avoir été mariée contre son gré. Il y a aussi un mariage entre défunts. Le narrateur profite du confinement qui le surprend en Chine pour éplucher sur Internet les journaux canadiens des années 70. Par la suite, Minkyung et le narrateur consultent une chamane armée d’un homard. Il est à craindre que la vérité demeure «noyée dans le poisson». Cl.D.

Sophie Avon, le Goût du bonheur

Mercure de France, 168 pp., 17 €.

Paul et Lili sont frère et sœur, et ils s’entendent très bien. Enfants, ils se racontaient qu’ils étaient jumeaux. Leurs parents ne leur ont pas laissé de maison de famille. Paul et Lili se sentent «de nulle part». Paul comble ce manque : il achète une vieille bâtisse dans les Landes : «Cette maison incarnait bien plus qu’un lieu de villégiature. Elle matérialisait un territoire repris sur le destin. Pas tant une revanche qu’un désir d’assurer, à défaut d’origines, notre greffe quelque part.» Lili vient passer quelques jours dans la maison, l’été, avec son compagnon. Tout se passe à merveille jusqu’à ce que des incendies très importants se déclenchent le 16 juillet 2022. Les gens du village se rappellent les feux de 1949. L’odeur de la fumée se répand jusqu’à Bordeaux et Bayonne. Sur le moment, Lili est choquée, mais cette catastrophe fait renaître en elle une sensibilité à la nature. Le Goût du bonheur est une exploration des émotions produites par le bruit des feuilles que le vent agite, les pluies d’avril, et le parfum des fleurs blanches. V.B-L.

Louis Vendel, Solal ou la chute des corps

Seuil, 297 pp., 20 €.

C’est l’histoire de deux amis étudiants. Solal est bipolaire et la vie est pour lui tour à tour trépidante ou bien un état morne entre ennui et souffrance. Louis, sans le savoir encore, va donner une voix à celui qui est son inverse et son miroir, inadapté à un monde qu’il tente de plier à sa propre mesure. Chez Solal, l’alcool déclenche les «phases hautes» de la maladie et alors qu’un jour Louis lui tend innocemment une bière, commence une période délirante dont l’issue dramatique manquera de lui coûter la vie mais sera aussi le kairos qui le mènera vers un destin hors du commun. Louis a donné la première bière comme on jette la première pierre, il se sent coupable et décide d’écrire ce livre, Solal ou la chute des corps, sorte d’enquête littéraire sur son ami devenu personnage de son roman et sur cette maladie aussi étrange qu’un oxymore. N.A.

Stéphane Pajot, Fuck la mort

Locus Solus, 128 pp., 12 €.

Décembre 1915. Quatre jeunes gens d’à peu près 20 ans se retrouvent sur le pont transbordeur qui enjambe la Loire, à Nantes. Eugène Hublet, Jean Sarment, Pierre Bisserié et Jacques Vaché se connaissent depuis le lycée. Rescapés des tranchées ou exemptés, ils vont écrire ensemble, depuis ce lieu improbable, l’ultime numéro du journal littéraro-potache qu’ils ont inventé adolescents. Cette dernière rencontre est fictionnelle. Mais le groupe de garçons, lui, a bien existé. Il a fait trembler d’indignation la bonne société des parents d’élèves du lycée de Nantes avec ses publications au parfum d’anarchisme. Vaché, quant à lui, sera la rencontre déterminante d’André Breton. Avec passion et une langue teintée d’expressions populaires de l’époque, Stéphane Pajot, journaliste et grand amoureux de l’histoire de Nantes, imagine les derniers jours du «groupe des Sârs», avant que la guerre ou la mort ne les ­sépare. G.Le.

Viktor Lazlo, Ce qui est pour toi, la rivière ne l’emporte pas

Robert Laffont, 240 pp., 18,90 € (ebook : 12,99 €).

Ce roman haletant et largement documenté de la chanteuse et comédienne Viktor Lazlo retrace le destin fictif d’Olvidia, une esclave mulâtre née vers 1752 au sein d’un domaine martiniquais. Cette fille mal-aimée, victime de violences psychologiques et sexuelles, finit par quitter sa terre natale pour Paris, où elle est le témoin privilégié, en pleine Révolution française, de la première abolition de l’esclavage déclarée en février 1794. Viktor Lazlo cultive son intérêt pour les combats en faveur de l’émancipation des peuples noirs. Cette Olvidia, qui lui a été inspirée par la femme noire assise au côté de Danton sur une gravure de Nicolas André-Monsiau, n’est d’ailleurs pas sans rappeler d’autres héroïnes résistantes telles la Mulâtresse Solitude d’André Scharz-Bart. K.D.T.

Melinda Moustakis, la Clairière

Traduit de l’américain par Josette Chicheportiche. Gallmeister, 424 pp., 23,50 €.

Ils se marient sans se connaître. Il fallait une épouse à Lawrence pour fonder une famille sur la parcelle de 150 acres qu’il a achetée en Alaska au milieu de nulle part. Il fallait un époux à Marie pour échapper à son passé, une mère absente, une grand-mère horrible. Lawrence a un père qui comprend tout (le plus beau personnage du roman) mais la guerre de Corée le poursuit. Lawrence et Marie se sont juste croisés et l’affaire a été conclue. D’août 1956 à septembre 1959, on les voit s’installer, s’apprivoiser, défricher, affronter des ours, échapper aux loups. Ils ne s’aiment pas puis parviennent à quelque chose qui ressemble à une vie conjugale, même si Lawrence refuse de mettre la parcelle à leurs deux noms. Il épuise ses cauchemars, ses angoisses et ses complexes en abattant des arbres. Elle perd un premier enfant, mais accouche ensuite d’une petite fille qui hurle non-stop. Elle n’est pas sans soutien : sœur et beau-frère leur rendent visite. Après un an passé à vivre dans un vieux bus scolaire reconverti en caravane, le dernier clou est planté. Lawrence, aidé de son père, a construit une grande et solide cabane. L’Alaska devient le 49e Etat américain. Le temps passe avec une lenteur hypnotique dans ce premier roman. Ce n’est pas ­désagréable. Cl.D.


Nouvelles

Colombe Boncenne, De mes nouvelles

Zoé, 128 pp., 16 €.

Pourquoi écrivez-vous ? Colombe Boncenne ouvre son laboratoire et donne une réponse possible page 22 : «J’écris pour remettre les choses en ordre. Des événements m’interpellent – une parole, un geste, une image, une situation –, je les note ici (dans un carnet) ou là (dans ma tête).» Plus loin, en week-end à la mer : «Mes pensées, ces crabes qui cheminent de manière latérale.» L’ensemble avance à l’avenant, à mi-chemin entre recueil de nouvelles et roman séquencé. L’autrice, dont on sait la finesse fond et forme (voir Des Sirènes, en 2022), fait feu de tout bois, raccroche les wagons et brouille les pistes. Comment se construit une histoire ? Comme ceci, comme cela. Les textes qui se terminent, l’un par «la tendresse», l’autre par «l’amitié», ont notre préférence – on vous laisse les retrouver. T.St.


Essai

Stéphane Encel, Dieu est-il barbu ? 33 idées reçues sur Dieu et les religions

Cerf, 248 pp., 18 €.

Sans doute un enseignement de l’histoire des religions prodigué à tous et toutes, dès l’école primaire, permettrait-il d’éviter bien des travers, de distinguer la difficile croyance de la benoîte crédulité, de ne plus voir la religion comme drapeau au nom ­duquel on serait autorisé à brûler tous ceux d’une autre couleur, voire à saisir l’universalité et la complexité du «fait religieux». Ce qui empêche tout cela, ce sont les préjugés, les idées que l’on a reçues sans possibilité de les filtrer de manière critique, mais aussi l’ignorance, qui fait suivre les nombreuses scansions religieuses du temps social sans trop en comprendre le sens. Docteur en histoire des religions, essayiste, président de la commission histoire, mémoire et droits de l’homme de la Licra, Stéphane Encel se livre ici à un véritable travail de «dépoussiérage» des faux-sens, des conjectures, des préconceptions, des «imaginations», des bêtises parfois, des partis pris, des a priori ou des stéréotypes qui entourent la religion, et tente de restituer leur source ou leur histoire, de lever les malentendus, de circonscrire un sens plus rigoureux du fait religieux : «Les religions sont des sectes qui ont réussi», «Dieu est mort», «Les religions s’opposent au progrès», «Les guerres sont toujours menées au nom de la religion», «Le monothéisme a introduit l’intolérance», etc. R.M.