Comment la guerre, cette forme active et sauvage de l’Histoire, change-t-elle les vies de ceux qu’elle traverse ? Sous quelle forme un roman peut-il décrire ces liens entre l’événement et l’individu, aussi sanglants à court terme que dissimulés à long terme ? En 1946, Mabel, une veuve américaine de 64 ans, revient au Japon où, en 1902, elle a effectué son voyage de noces à Kyoto. Dans la capitale impériale, le voyage avait été un enchantement esthétique et exotique. Son mari, Henry, était juriste. Plus tard, il est entré en politique. Il a effectué des missions logistiques essentielles pour le Département d’Etat. L’intendance de la guerre contre le Japon, c’est lui qui l’a dirigée. Vers la fin, il a participé aux discussions secrètes se concluant par le lâcher de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Parmi les cibles éventuelles, Kyoto avait été envisagée.
Chemin initiatique
Le 16 juillet 1945 à l’aube, Henry et sa femme escaladent un pic pour voir l’essai effectué, au loin, dans le désert américain : «Dans l’air cristallin et glacial, un groupe de lumières vacille dans la plaine. D’un coup une bulle orange, d’une grande intensité lumineuse, surgit et les éblouit, puis une colonne se développe sous le pied de ce dôme, maintenant violet. Moins de deux minutes plus tard, le son de l’explosion leur parvient. Il y a d’un côté Kyoto, c’est-à-dire une ville qu’il a fallu plus de mille ans pour construire, raffiner, parfaire ; de l’autre cette chose énorme, inouïe, luminescente et mortelle. I