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Libération
Lundi poésie

Eric Suchère, planches à poèmes

Poésiedossier
Dans son dernier recueil, «Mystérieuse», le poète, traducteur et critique d’art propose une retranscription écrite de 62 planches d’albums de Tintin, en révélant le caractère énigmatique.
Le principe du livre d'Eric Suchère : une description littérale de 62 planches des albums de Tintin expurgée du texte des bulles. (DR. Effets Libéraion)
publié le 20 mai 2024 à 16h08

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Qu’est-ce qui fait mystère ? La retranscription écrite d’une planche de bande dessinée qu’on tente de deviner des tréfonds de ses souvenirs d’enfant ? Le procédé formel esquissé par le poète pour ajouter du mystère au mystère ? Ou bien, l’œuvre elle-même d’Eric Suchère qui se confond avec celle d’Hergé, puisqu’elle en est une sorte de copie poétique qui en révèle le caractère énigmatique ? Mystérieuse, le dernier recueil du traducteur et critique d’art, aux éditions LansKine, est un étonnant condensé de ces considérations sémantiques. Son principe : une description littérale de 62 planches des albums de Tintin expurgée du texte des bulles.

Ce qui laisse tout le loisir au lecteur d’en toiser l’action, l’onirisme, la bizarrerie, le fantastique ou, tout simplement, la poésie. Voyez avec cet extrait : «Simple fond et deux cercles concentriques : un astre très brillant s’y découpe et occupe tout l’espace – est une intensité» ou encore «Nuit, étoiles, montagnes, ombres, esplanade déserte sinon, loin, bâtiment, et fusée : son antenne transmet, zigzags tout autour – est la confirmation de l’ordre de lancement.»

Mais l’ouvrage est aussi une jolie métaphore ludique. Page après page, le lecteur, s’il est un fin connaisseur des aventures du reporter belge, est pris au jeu de l’auteur et se retrouve à tenter de déceler dans chaque strophe (appelons-les ainsi) des indices sur les vignettes dont il est question. Et nous voilà à tenter de deviner si la prose transpose des cases des Cigares du pharaon, de l’Etoile mystérieuse ou du Sceptre d’Ottokar. La construction répétitive et contrainte des poèmes, dans un style dépouillé, ajoute au suspens.

Eric Suchère, Mystérieuse, éd. LansKine, 128 pp., 15 €.
L’extrait

Salle et sarcophages ouverts alignés : les figures sur la ligne regardent les momies aux noms étiquetés – sont une surprise et découverte macabre.

Salle et sarcophages ouverts alignés : les figures sur la ligne bondissent de surprise gouttes de sueur éclaboussent, à la lecture des noms – est choc soudain.

Salle et sarcophages ouverts alignés : les figures marchent, recherchent une sortie – est volontarisme.

Angle de salle, statue et escalier : les figures marchent et regardent, au bras de la statue, un parapluie pendu – sont une autre découverte et un vrai questionnement.

Long du mur et statue : les figures marchent sur la ligne et regardent, au bras de la statue, une manchette et une veste pendus – sont une autre découverte et un volontarisme.

Salle et entrée gigantesque aux larges doubles portes avec fresques : les figures marchent encore – est un cadre imposant.

Salle et entrée gigantesque aux larges doubles portes avec fresques : les portes se referment, petits traits en éclats, courbes de déplacement, petits nuages soufflés – est une action soudaine.

[…]

Coin de pièce et caisses entassées : la figure ouvre une caisse, découvre ce qui y est – est un vrai étonnement.

Coin de pièce et caisses entassées : la figure ouvre une boîte, découvre ce qui y est – est un autre étonnement.