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«Et chaque fois mourir un peu» : Karine Giebel sur les sentiers de la guerre

Dans son treizième roman, l’autrice met en lumière un infirmier de la Croix Rouge appelé à travailler dans les zones de conflit où l’humanité perd chaque jour un peu plus ses valeurs.
A Sarajevo, en juillet 1992. (Tom Stoddart/Getty Images)
par Didier Arnaud
publié le 1er mai 2024 à 13h58

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«Monter au front sans arme ni gilet pare-balles. Soigner les autres au péril de sa vie. Se sentir utile en ce monde.» Voilà, résumé en trois phrases, le travail de Grégory, infirmier de la Croix-Rouge internationale, qui, de Sarajevo (Bosnie) à Gaza (Palestine), se rend au secours des autres. «Avant il y a parfois un silence. Un silence que personne n’entend. Puis c’est la déflagration. Bruit assourdissant, flash aveuglant […] L’onde de choc atteint d’abord ceux qui sont tout près […] Pour eux, aucune chance […] Dans le second cercle, débris et éclats transpercent les chairs, les os. Blast secondaire, criblage. Tympans perforés. Yeux, gorges et peaux brûlés. Corps écrasés par l’insoutenable pression […] Blast tertiaire. Corps projetés sur plusieurs mètres. Murs et plafonds qui s’effondrent. Le monde qui s’écroule. Puis le silence revient. Un brouillard sombre, une pluie de sang, une nuit de cendres. Une bombe vient d’exploser.»

On a connu Karine Giebel avec des histoires plus classiques, polars de très bonne facture qu’on a peine à lâcher. Là, elle entre sur d’autres terrains, encore plus morbides, puisque c’est de guerre qu’il s’agit, et de gens qui n’ont pas choisi de se retrouver là. «Grégory a quitté Sarajevo ce matin. Il se rend dans un hôpital de Srebrenica où il passera deux semaines à former des infirmiers pour les soins aux blessés par mines antipersonnel. Il a accepté une mission de trois mois en Bosnie qui commencera par cette région où a été perpétré le pire massacre de la guerre et où les mines continuent à tuer et mutiler chaque jour.» La quatrième de couverture interroge sur ce qui nous «force à garder les yeux grands ouverts sur ce que l’homme est capable de faire subir à ses semblables et interroge l’humain qui est en nous».

Cruel dilemme, horrible décision

Mais un des mérites de ce roman est de décrire ce qui se joue dans ce métier qu’exerce Grégory. Il doit ainsi choisir dans la foule des victimes celles qui pourront être sauvées et les autres. Dire qui vivra, au fond. Cruel dilemme, horrible décision. «Ce sont immuablement les plus fragiles qui paient le prix fort» écrit Karine Giebel. Quant à Grégory, il ne cessera de se battre pour continuer à sauver les autres. «Il repartira parce que les mines continuent leur travail de mort partout sur la planète […] Il repartira parce que les cris des victimes deviendront assourdissants. Parce qu’il est incapable de rester sourd aux appels de détresse hurlés à travers le monde. Il repartira, ce n’est qu’une question de temps. De temps et de courage. De courage et de valeurs.»

Dans ce livre, il y a des gens qui mutilent des femmes pour les empêcher d’avoir des enfants, qui pratiquent l’équilibre de la terreur, qui font la guerre pour avoir la paix, ou pour assouvir leurs fantasmes les plus sordides. Karine Giebel a écrit un livre dur, mais nécessaire, car il aide à comprendre un peu de notre humanité, même si on s’en éloigne dans ces zones de guerre. En exergue du livre, un vers de Victor Hugo, décidément inspiré à ce propos. «Depuis six mille ans, la guerre plaît aux peuples querelleurs, Et Dieu perd son temps à faire les étoiles et les fleurs». Dieu ? Il semble se faire rare sur les zones de guerre.

Karine Giebel, Et chaque fois mourir un peu, Récamier Noir, 480 pp., 22€.