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«Et puis, on aura vu la mer», nouvel opus de la série sociopolitique de Tristan Saule autour de la place carrée

Le romancier signe le quatrième volume d’une formidable saga noire dont le point de départ est une simple place dans une de ces villes périphériques qui nourrissent les crises sociales.
Dans cet ouvrage des «Chroniques» de Tristan Saule, c’est une jeune ukrainienne, Iryna, qui débarque chez Sabrina, paumée, fuyant des hommes qui font peur avec leur accent à couper au couteau et leurs armes à portée de main. (Laure Boyer/Hans Lucas. AFP)
publié le 13 février 2024 à 8h00

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Sur la place, entre les barres HLM, le centre commercial et les zones de deal, on a d’abord vu passer Mathilde, la travailleuse sociale de Mathilde ne dit rien (le Quartanier, 2021). Puis Laura, l’infirmière croisée dans Héroïnes (le Quartanier, 2022), dont les conditions de travail sont toujours infernales. Avec le troisième volume intitulé Jour encore, nuit à nouveau, paru l’an dernier, on accompagnait Loïc dans sa solitude, perdant pied en se cloîtrant dans son appartement. La nouvelle fiction des «Chroniques de la place carrée» de Tristan Saule, intitulée Et puis, on aura vu la mer, s’attache particulièrement à Sabrina, courant sans cesse entre ses enfants, ses ex et son boulot d’Atsem (Agent territorial spécialisé des écoles maternelles). Sabrina lutte ardemment contre l’épuisement. Parfois, elle peut s’asseoir à l’heure de la sieste des plus petits. Elle regarde ces mômes de deux ou trois ans qui dorment comme des bienheureux les fesses en l’air et récapitule la liste de tout ce qu’elle doit faire aujourd’hui. Très vite, il faudra se lever, remonter les pantalons, zipper les blousons, enfiler les bonnets et les emmener aux toilettes puis dans la cour.

Les «Chroniques» de Tristan Saule sont des sagas bouleversantes où la vie quotidienne ne coule pas de source. Cette fois, c’est une jeune ukrainienne, Iryna, qui débarque chez Sabrina, paumée, fuyant des hommes qui font peur avec leur accent à couper au couteau et leurs armes à portée de main. Car on parle bien de romans noirs ici, avec des salauds qui trahissent pour un billet de cent euros et des filles qui n’ont peur de rien pour défendre les plus faibles. Et puis, il y a Idriss, un gamin qui grandit, devient adolescent, rêve à la fois de Playstation et d’engagement, commençant l’air de rien à regarder les filles.

Tristan Saule, de son vrai nom Grégoire Courtois, écrit des romans noirs politiques en prenant soin de doser le rythme des phrases, l’humour qui aide à respirer et les informations sociales sérieuses et vérifiées. Mais surtout, il soigne les voix de ses personnages et réussit à écrire une véritable chanson de gestes où le jeune Idriss sautille dans ses baskets, où Sabrina rêve de douceur, où Mathilde distille des informations sans un mot de trop. Tristan Saule mesure aussi ses phrases, retire les adjectifs, décrit comme personne la lassitude de ces anti-héros qui résistent encore tandis que sur l’écran de leur télévision, un président de la République vient d’être réélu.

Et puis, on aura vu la mer de Tristan Saule, éditions du Quartanier, 152 pp, 23 €