Considérée d’abord comme une «muse du département», comme l’indique sa biographie Nicole Pellegrin, qui reprend l’expression forgée par Honoré de Balzac (1837), Fortunée Briquet aura tout de même eu dans l’histoire littéraire un peu plus de poids que ce que signale cette particularité très mondaine. Si elle a en effet publié d’abord des bouts-rimés, des fables et des épigrammes inspirés de la lecture de Bernardin de Saint-Pierre, et si, de fait, ses vers ont paru dans l’Almanach des muses de l’Ecole centrale du département des Deux-Sèvres, il ne fait aucun doute que Fortunée Briquet n’est pas une aède banale de son temps. Et son grand œuvre, un volume roboratif, compilatoire et finalement précurseur, dépasse de loin l’intérêt conjugué de ses Ode sur les vertus civiques (Parus, Imprimerie de C. Pougens, 1801), Ode sur la mort de Dolomieu, précédée d’une notice sur ce naturaliste, et suivie d’une lettre du secrétaire de la classe de littérature et beaux-arts de l’Institut national de France… (Paris, Chez Ch. Pougens, Imprimeur-Libraire, 1802), Ode sur Lebrun (Paris, Chez Ch. Pougens, Imprimeur-Librairie, 1803), et, pour finir, de son Ode qui a concouru pour le prix de poésie décerné par l’Institut national de France, le 6 nivôse an XII (Niort, E. Diéperris aîné, 1804).
Son ouvrage majeur, c’est un ambitieux dictionnaire que la jeune femme au visage presque enfantin établit à force de travail, ce que l’on nomme avec Nicole Pellegrin, un lieu de mémoire où étaient recensées les femmes de lettres depuis l’aube des temps… En 1804, alors qu’elle n’était âgée que de 22 ans, Fortunée Briquet publiait ainsi chez Treuttel et Würtz, à Paris, son Dictionnaire historique, littéraire et bibliographique des Françaises et des étrangères naturalisées en France connues par leurs écrits, ou par la protection qu’elles ont accordée aux gens de lettres… Plus de 340 pages in-octavo qui préfiguraient le Dictionnaire des créatrices des éditions Des Femmes, avec deux siècles d’avance…
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Soucieuse de précision
Le préambule à sa première publication dans l’Almanach de son époux, puisque Briquet était bel et bien l’éditeur de l’Almanach des muses de l’Ecole centrale du département des Deux-Sèvres, énonçait déjà ses caractéristiques qui n’étaient pas d’abord poétiques mais taxinomiques : «LA citoyenne BRIQUET (*), élève du citoyen JOZEAU, Professeur d’histoire naturelle, a fourni à l’éditeur de l’almanach des Muses, les articles de botanique et de minéralogie qui sont joints à l’annuaire. Elle a observé, dans la distribution des plantes, le temps approximatif de leur fleuraison, en y ajoutant le nom de la classe et de l’ordre, du système de Linné. Quant aux minéraux elle les a classés suivant l’ordre déterminé par Daubenton.» Soucieuse de précision, Marguerite Ursule Fortunée Bernier (1782-1815), épouse Briquet, était mue par l’observation et la description, deux qualités indispensables à la réalisation de notices de dictionnaires…
L'épisode précédent
«Plus belle que Sapho, j’ai tiré de sa lyre /Des sons qui de l’envie ont réveillé l’aigreur ; /Si mon portrait est vrai, dans mes traits tu dois lire : /Beauté, grâces, esprit, et qualité du cœur», écrivait-elle en janvier 1798 dans l’Almanach, apparemment toute dédiée déjà à ses notices, à propos d’un portrait de la poète Constance Pipelet (1767-1845)… Elle apportait au même moment un «Dialogue entre Madame Sévigné et Madame Deshoulières» plein d’intelligence qui démontrait d’abord son talent, ensuite le fier instinct d’éditeur de son époux, curieux personnage s’il en est. H. A. Briquet était un prêtre défroqué devenu professeur de Belles-Lettres à l’Ecole centrale locale. Il avait adopté la cause révolutionnaire, devint vice-président du Comité révolutionnaire de Poitiers, fut toutefois condamné à la déportation et retenu sur un ponton de Rochefort avec les prêtres insermentés et finalement libéré. Installé à Niort où il y contracta avec Fortunée un mariage qui ne devait pas être heureux. Il avait vingt ans de plus qu’elle et Fortunée rencontra très vite des succès flatteurs qu’elle devait autant à sa beauté qu’à ses œuvres. Née le 16 (ou le 17 juin) 1782 à Niort, fille d’un notaire de Niort qui lui assura une éducation libérale, elle s’était mariée trop jeune et aura tout fait trop vite : ses premiers vers paraissent lorsqu’elle avait seize ans, son divorce intervint quand elle en a vingt et elle s’éteint à l’âge de trente-trois ans, le 14 mai 1815, dans sa ville natale.
Coqueluche des salonnards
Montée à Paris à l’occasion de ses premiers succès poétiques, elle est devenue l’amie de Fanny de Beauharnais et de la poète Anne-Marie du Boccage (1710-1802) alors très âgée. Fortunée est rapidement la coqueluche des salonnards avec «son visage d’enfant un peu poupard, éclairé par les plus jolis yeux qu’on puisse rêver, encadré de la façon la plus mignarde du monde par deux longues boucles de cheveux tombant d’une coiffure à la grecque, par deux anneaux d’or plus grands à coup sûr que les mignonnes oreilles qui les supportent. Comme elle est bien de son époque, la petite femme, avec son fourreau de mousseline dont la taille, remontée jusque sous les bras moule très exactement une gorge de fillette, entrouverte comme au dernier siècle, lorsque Delacourt ou Lawrence peignaient leurs jolies actrices poudrées.» (H. Clouzot décrivant le portrait par Mlle de noireterre, an X).
Dans l’article «Cabale littéraire» de l’Encyclopédie des connaissances utiles (T. 9, février-mars 1834), Hippolyte Dufey nous apporte des précisions sur la postérité de ces textes : «La littérature a toujours eu ses factions, ses cabales, comme la politique, ce mot ne se prend jamais qu’en mauvaise part. […] on retrouve le même engouement, les mêmes prétentions, les mêmes manœuvres dans les coryphées de l’hôtel Thélusson. Les femmes y dominaient : que sont devenues ces célébrités si vantées ? On a oublié jusqu’aux noms des Muses de cette époque contemporaine : les noms de Constance Pipelet et de Fortunée Briquet ont disparu sous les décombres du théâtre de leur gloire.» Il est toujours aisé de dénigrer les femmes qui créent à l’instar de Balzac a moquant les épigones George Sand dans La Muse du département (1837) et de Barbey cinglant le «bas-bleu» en 1878…
Seulement, en 1804, Fortunée Briquet avait frappé un grand coup. Dédié «au Premier Consul et Président», son Dictionnaire historique, littéraire et bibliographique des françaises et des étrangères naturalisées composait le panégyrique de 562 femmes de culture, poètes, romancières, mécènes qui, depuis Agnès de Poitiers (1103-1159) jusqu’à l’académicienne de Rome Caroline Wuiet (1768-1834) en passant par Sophie Grandchamp, traductrice et enseignante d’astronomie, ou Madame de Scudéri et Elizabeth de Schoenau (XIIe siècle)… «Les sciences et les lettres comptent, parmi les écrivains français ou naturalisés en France, un assez grand nombre de femmes, depuis l’établissement de la monarchie jusqu’à nos jours, pour qu’il paraisse utile et agréable de les trouver réunies dans un Dictionnaire qui leur soit exclusivement consacré. Il est juste d’associer à leur gloire les Françaises qui se sont honorées par la protection qu’elles ont accordée aux gens de lettres. Cet ouvrage national n’existe point. J’ai osé l’entreprendre ; et c’est après quatre années de travaux que je le présente au public.» Avec la compilation des quatorze volumes de la «Collection des meilleurs ouvrages français composés par des femmes» de Louise de Kéralio (Paris, Lagrange, 1786-1789), Fortunée Briquet posait les premières bases d’une histoire culturelle que l’on ne finit pas de redécouvrir.