Retrouvez sur cette page toute l’actualité du polar et les livres qui ont tapé dans l’œil de Libé. Et abonnez-vous à la newsletter Libé Polar en cliquant ici.
Haïti est dans un tel état ces temps-ci qu’il est bon de lire et relire tout ce qui a pu conduire à la désintégration de ce pays caribéen abandonné du reste de la planète. Le polar sert aussi à ça, à replonger dans les heures les plus sombres de l’histoire afin de comprendre la source du chaos. Dans Furie Caraïbe (10/18), Stéphane Pair nous fait revivre, via deux incroyables personnages de femme, deux périodes clés de l’histoire d’Haïti, 1971 et 1986, témoins des horreurs perpétrées par la dynastie des Duvalier.
«Trop d’histoires, trop de conflits»
En 1971, le règne de «Papa Doc», comme on surnomme le dictateur, est à son climax. Au pouvoir depuis 1957 et nommé président à vie en 1964, François Duvalier survit en faisant régner la terreur, son entourage sombrant dans la paranoïa. Un de ses bras armés est une femme, Rosalie Adolphe, une vraie fanatique qui lui est dévouée corps et âme. De la prison de Fort-Dimanche, dont elle a la charge, elle dirige les terribles «tontons macoutes», milice inspirée des fascistes qui torture et massacre les opposants au régime. «Rosalie poursuit sa progression dans ce boyau sombre que les détenus surnomment entre eux l’allée des morts, écrit Stéphane Pair. C’est un alignement de cellules de quatre mètres sur quatre, où Rosalie peine à caser le nombre toujours croissant de prisonniers. Quand elle a pris les rênes de l’établissement à la demande de Papa Doc, elle a estimé la limite à vingt détenus par geôle. Au-delà, c’est trop d’histoires, trop de conflits.» Ce sont les fameux miliciens aidés de soldats qui, en 1964, alors que Papa Doc devient président à vie, massacre chez elle la famille Sansaricq dont le père est un opposant au régime. Seule une enfant parvient à échapper au bain de sang, Sybille.
Assouvir sa vengeance
Et c’est bien sûr Sybille, devenue étudiante, que l’on voit réapparaître en 1986, décidée à faire chuter la dynastie des Duvalier. Papa Doc a en effet été remplacé par Bébé Doc, dont les méthodes ne diffèrent guère de celles de son père. Alors elle prend la tête de groupes de jeunes qui font le coup de poing partout où ils le peuvent. «Il faut lever les les lycées pour qu’ils débraient et bloquent les cours. Cette idée doit saturer les esprits. Les projeter dans la rue. C’est ainsi qu’on déborde le pouvoir et qu’on rend le pays incontrôlable. Des écoles aux champs de manioc, il faut que ce pays renâcle. S’immobilise et gronde.» Pour parvenir à ses fins, la confrontation ultime avec Rosalie, et à assouvir sa vengeance, Sybille est prête à tout, y compris à séduire Jacques, le baron de la drogue, dont elle va finir par tomber éperdument amoureuse.
Dans une postface, l’auteur raconte que la vraie Rosalie s’est volatilisée durant le renversement de Bébé Doc en 1986, apparemment réfugiée aux Etats-Unis où elle serait morte en 2018 à l’âge de 93 ans. Et la fortune détournée par la famille Duvalier, évaluée à plusieurs centaines de millions de dollars, n’a jamais été restituée au peuple haïtien. Ce deuxième roman noir de Stéphane Pair, journaliste à France Info, est passionnant car il décrit ce pays de l’intérieur via une intrigue parfaitement construite et deux personnages de femme que l’on peine à oublier une fois le livre refermé.