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Libération
Essai

«Gestes de femmes» de Sophie Coste, les travaux forcés du foyer

L’agrégée de lettres modernes définit les actions qui cantonnent à la maison les corps féminins et les brisent.
Sobre la dialectica pero en verde chillon d’Ouka Leele (1982). (Ouka Leele/Agence VU)
publié le 12 septembre 2024 à 3h27

A hauteur d’enfant, déjà, l’espace domestique est occupé par les femmes. Il faut dire que Cendrillon époussette, range et lave à grandes eaux le domicile. Loin d’être réservés à la fiction, ces gestes non rémunérés, depuis des siècles, tiennent responsables les femmes «de la bonne marche de la maison et du bien-être de la famille». Balayer, un des treize verbes analysés par Sophie Coste, équivaut à «s’attache[r] à ce qui est au plus bas : le sol, la terre. […] Son humilité est entachée d’humiliation». Ce n’est que la «continuité du labeur féminin» et de la misogynie car «devant une activité strictement féminine, la suspicion ne manque pas d’entrer en alerte».

«Arme de résistance»

Sophie Coste, agrégée de lettres modernes, définit des actions principalement bornées au foyer, à l’exception de quelques virées à l’extérieur pour cueillir des fruits ou laver le linge. Il fallait s’agenouiller autrefois au bord de la rivière, se courber l’échine et se casser les reins pour frotter quelques vêtements dans l’eau glacée. Tout est affaire d’aliénation, ces «gestes de femmes» brisent les corps et cela dès le plus jeune âge. Les jeunes filles connaissent ces mouvements, ceux de repriser et de raccommoder, rendus obligatoires à l’école sous la IIIe République. Il est question avec ces travaux d’aiguille d’une «leçon de maintien corporel et de retenue» pour «discipline[r] le corps des petites filles, comme un corset invisible» – ne dit-on pas des couturières qu’elles sont des petites mains fortes de «patience, de docilité et de modestie» ?

Après des années de résilience, les coutures craquent. Elles défont les fils «point par point», ce geste inverse mène les couturières à «en découdre», sous-entendu à «se battre». «Car découdre n’est pas seulement un geste attentif et respectueux, il est libérateur» et fait de l’aiguille une «arme de la résistance féminine». Sophie Coste parle de la peintre Angela Su qui symbolise le silence en cousant des lèvres avec des cheveux. Elle mentionne aussi le corset recouvert de dents de requin crée par Sarah Garzoni et exposé en 2010. Le travail de l’aiguille était réservé à l’espace domestique, avec celui des artistes, les fils s’effilochent loin de «l’ordre établi».

Sophie Coste, Gestes de femmes, Philippe Rey, 256 pp., 20 € (ebook : 13 €).