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Jeudi polar

«Gracier la bête» de Gabrielle Massat, forêt tentaculaire et enfants en danger

Avec une écriture pleine d’énergie, de rage et de passion, l’autrice française met en scène un éducateur spécialisé dans un foyer d’accueil pour mineurs et une adolescente en difficulté.
(Anastasia Rasstrigina/Getty Images)
publié le 6 février 2025 à 9h13

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Grand, costaud, Till se nourrit mal, vit mal, et n’a pas le temps de s’occuper de lui. Il consacre son existence à son métier, éducateur spécialisé dans un foyer d’accueil pour mineurs. Il gère les urgences et ça n’arrête jamais. Cette nuit, il est encore seul pour s’occuper de 24 gamins, des ados perdus, souvent nerveux, et tellement solitaires. Audrey, une fille de 14 ans qu’il connaît bien, vient encore de fuguer et quand elle rentre enfin dans la nuit, Till est à bout de forces, à bout de nerfs. Il la bouscule, culpabilise, file sur sa moto. Audrey fugue encore et, renversée par un chauffard, plonge dans le coma. On découvre peu à peu la vie de la jeune fille, enlevée à sa mère maltraitante quand elle avait deux ans, baladée de foyer en foyer, cherchant encore cette mère disparue comme on s’accroche au dernier espoir. Till sait tout cela, survivant d’échec en échec, cherchant des indices pour réveiller Audrey, lui donner de quoi rêver un peu.

Sans jamais alourdir son propos, Gabrielle Massat (également autrice de l’excellent polar, le Goût du rouge à lèvres de ma mère) mène de front des fictions inspirées du roman noir et des thèmes sociaux où se tissent le désespoir de tous ces enfants en danger et celui des travailleurs d’un organisme qui n’a ni les moyens ni le personnel pour éviter le chaos. Till, avec sa colère et ses gros bras, se démène comme il peut, rongé par le sentiment de ne pas en faire assez. Audrey est l’exemple parmi tant d’autres de ces jeunes abîmés, oubliés par leur famille et par la société. En situant son intrigue dans une forêt tentaculaire, près d’Albi, Gabrielle Massat traque les fantômes mais elle évite les contes de fées et réussit à ne pas jouer les donneuses de leçon. Elle tient son enquête à bout de bras, glisse un peu d’humour noir qui permet de respirer, maintient une écriture pleine d’énergie, de rage et de passion. Son constat est tragique et met le doigt sur l’abandon de ces enfants démunis qui deviendront des adultes perdus.

Gracier la bête, Gabrielle Massat, éditions du Masque, 330 pp, 20,90 €