Les rôles s’inversent, les parents sont des «petits» et la fillette rousse au visage rond «une grande», une «très très grande» même. Elle est de celles qui n’ont pas besoin de se hisser sur la pointe des pieds pour attraper leurs jouets. Elle a deux ans et à l’écouter elle sait tout faire. Elle court «très vite», ouvre la porte sans l’aide de quiconque et sert de «très bons cafés» à Sylvestre, le chat, assis sur le tabouret une tasse à ses pattes et un bavoir autour du cou. Elle sait compter, elle a «1 nombril, 2 bras, 2 oreilles, 2 jambes !» mais oublie les nombreuses peluches dans son lit pour affirmer, «je dors toute seule». Etre grande ne l’empêche pas de s’étaler parfois sur le canapé en posant sa tête sur les genoux de sa mère et ses pieds sur ceux de son père. L’espace est petit pour «une grande» mais «là, c’est [s]a place» dit-elle le pouce dans la bouche et Boubou, son «doudou» dans les bras.
Un décalage entre le texte et l’image
Dans Grande !, dernier album de sa série autobiographique débutée en 2019 et publiée aux Fourmis rouges (Une Maman c’est comme une maison, Bébé ventre et la Petite sœur est un diplodocus), Aurore Petit place toujours les parents hors champ, seuls leurs bras ou leurs jambes apparaissent. Dans la salle de bains, par exemple. Debout dans une bassine rouge remplie de mousse, elle se laisse frotter le dos par un de ses parents, ce qui ne l’empêche pas d’être persuadée que «comme une grande, [elle se] lave toute seule» – ce qui crée un décalage entre le texte et l’image renforçant la bienveillance du lecteur face à cette petite fille. Ou bien de conduire, poussée par son grand frère, une voiturette à pédales sur un chemin de graviers roses.
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A l’extérieur, les couleurs apparaissent pâles – le jaune franc du fauteuil tire vers une version moins lumineuse pour les buissons ou les portes. Les couleurs ne se croisent jamais à l’inverse des lignes fines tracées à l’encre noire pour apporter de la profondeur aux aplats d’Aurore Petit, diplômée de l’Ecole supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg en 2006. Elle les estompe vers les dernières pages pour aller vers la douceur – et le dessin semble pour la première fois s’accorder avec le texte.
Besoin de personne
Ce que tout le monde veut savoir : qui l’aide à mettre son manteau vert à gros boutons rose ? La page est découpée en quatre temps, façon BD, pour plus de dynamisme. La fillette n’a besoin de personne, elle jette sa veste par terre à l’envers, se tient debout au niveau du col et glisse ses bras à l’intérieur pour la retourner. Elle s’écrie : «Moi, je sais faire ça… toute seule !» Il y a parfois des ratés comme avec le pantalon. Elle enfile les deux pieds dans la même jambe ou avec les chaussures qu’elle ne sait pas lacer. Pour ce qui est du vélo, installée dans le porte-bébé, elle préfère laisser sa mère, en sueurs, grimper la côte. Si elle le pouvait, elle essayerait se convainc-t-elle – ce n’est pas faute de le vouloir.