C’était un père avec lequel ses fils étaient «pliés de rire» lorsqu’il racontait des histoires, un exercice pour lequel il était doué. Jardinier en Bulgarie, il fumait élégamment, parce qu’il «était de ceux qui avaient appris à fumer en regardant des films des années 1950 et 1960. Ça ne s’oublie pas». Cet homme tué par un cancer était né à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son fils, Guéorgui Gospodinov, écrivain bulgare de 57 ans, fait du Jardinier et la mort le tombeau de son père. «Autant le dire d’emblée, à la fin de ce livre le héros meurt», prévient-il dans les premières pages. Un chagrin si fort, que ne tache pas une goutte d’amertume et un père si aimant, si rassurant, ce ne sont pas des cas de figure si fréquents. La Bulgarie soviétique et les conséquences de son effondrement dans le quotidien de la famille sont mêlées par Gospodinov au portrait du père et aux souvenirs de la façon dont il se comportait.
Par exemple lorsque naît la fille de l’écrivain, celui-ci est surpris par la «vénération» et la timidité éprouvée par ses parents à lui devant le nourrisson : «Je n’avais jamais vu mes parents ainsi. Avant aussi, c’étaient les meilleures personnes que je connaisse, mais avec nous, ils ne faisaient pas de manières, il n’était pas question de nous gâter, encore moins de nous baiser la main. Les enfants du socialisme étaient aimés sans beaucoup de rituels, c’étaient des gamins dérangeants qui devaient apprendre à se tenir.»