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Libération
Lundi poésie

«Hippocampe» d’Eva Marzi, raide mémoire

Poésiedossier
La poétesse suisse reconstitue dans des doux poèmes narratifs l’histoire d’un jeune migrant amnésique.
A l’origine du livre d'Eva Marzi, il y a l'histoire d’un jeune homme qui, après un accident de vélo, a perdu la mémoire. (DR. Effets Libération)
publié le 24 juin 2024 à 17h29

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A l’origine du livre de la poétesse suisse Eva Marzi, il y a une histoire qui est déjà de la poésie, quelque chose à l’intersection du tragique et du beau. Celle d’un jeune homme qui, après un accident de vélo, reprend connaissance à l’hôpital et dans son passé. Le diagnostic est simple : «Perte de connaissance avec traumatisme crânien. Amnésie. Vide de mémoire.» A son chevet il y a une jeune femme inconnue. Il est à Genève mais il pense être dans son pays natal, la Tunisie, projeté dans le souvenir d’un autre hôpital, quelques années plus tôt, d’un autre accident, celui qui a coûté la vie à sa grand-mère – «Je me suis réveillé dans un souvenir». Des derniers mois, de son arrivée dans ce pays, il a tout oublié. Même la fille, qui jure qu’ils étaient amoureux, malgré les suspicions du corps médical («si tu avais vraiment aimé cette fille, tu te souviendrais d’elle»).

«Médecin : La fille, vous la reconnaissez ?

Malik : Non.

Vous vous souvenez que vous aviez une copine ?

Je me souviens d’une femme, oui. Mais ce n’était pas elle.»

Petit à petit, fragment par fragment, il faut tout reconstruire. La fille reste, les souvenirs lentement reviennent. Eva Marzi s’est plongée dans cette histoire vraie qu’elle a reconstituée et transformée avec une douceur folle, pour la raconter en vers narratifs depuis l’intérieur. En filigrane, derrière cette mémoire interne hors d’atteinte, derrière les souvenirs de cet autre qui était lui et qu’il doit apprivoiser, se dessine l’exil, le pays que Malik a laissé derrière lui et qui revient le hanter, comme s’il refusait de se laisser effacer. Un très beau recueil sur l’errance du corps et de l’esprit.

Eva Marzi Hippocampe, éditions La Veilleuse, 120 pp., 16 €.

L’extrait

Chaque jour

on pèse mon âme

Y a-t-il en moi

quelqu’un à sauver ?

Avoir survécu

ne suffit pas à prouver

que j’existe

Ils veulent que je puisse me dire

me raconter

cocher vrai ou faux

dans les cases blanches

de mon histoire

Chaque jour

j’apprends à décevoir