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Henri-Alexis Baatsch : «Hokusaï et la dame de la cour»
Rencontre avec le spécialiste de philosophie allemande qui vécut longtemps au Japon, à l’occasion de la sortie en édition de luxe de son livre sur le prodigieux dessinateur : «Hokusaï, le fou du dessin».
«Le printemps s’annonce/ J’ai quarante-trois ans/ Toujours là devant mon riz blanc». Ce haïkaï d’Issa (1763-1828), poète contemporain d’Hokusaï (1760-1849) et presque aussi fertile que l’artiste aux 30 000 œuvres, pourrait résumer la puissance, l’humour, le peu de révérence, l’avidité de génie propre à celui qui, vieillissant mieux qu’un grand cru, excella dans la peinture d’un héron comme dans le dessin d’un fantôme, dans l’art du paysage comme dans celui de l’érotisme, dans la peinture comme dans l’estampe et, avant et après tout, le dessin. Hazan réédite un texte clair, précis, profond et concentré de Henri-Alexis Baatsch, datant de 1985, dans une édition de luxe si belle qu’elle mérite relecture permanente, tant la qualité des reproductions, sur papier doublé, donne la sensation d’avoir Hokusaï chez soi, et donc de vivre son émerveillement bouffon, espiègle, dramatique, omnivore, extatique, son «art populaire et raffiné». L’auteur, Henri-Alexis Baatsch, né en 1948 et spécialiste de philosophie allemande, évoque pour Libération sa propre histoire avec le Japon et ce prodigieux dessinateur qu’il rapproche de Léonard de Vinci, pour sa liberté, et des Vénitiens du XVIIIe siècle, pour leur art de saisir, sans distinction ni hiérarchie, toutes les manifestations et tous les mystères de la vie quotidienne. Cela dans un pays, celui de l’ère Edo, fermé au reste du monde, figé et stratifié dans une paix perpétuelle, et qui «languissait dans sa fête de la vie». Hokusaï naît et grandit dans cette atmosphère ; ses étincelles font tout exploser. Lire la suite
Un Bonnard hors cadre avec Stéphane Guégan
Dans une monographie, l’auteur élabore une plaidoirie esthétique contre des analyses dépassées, qui rendaient le grand peintre inoffensif, détaché du «réel».
On doit sans doute à Jean Clair, et à la rétrospective qu’il dirigea en 1984 au centre Pompidou, le fait que Bonnard, mort en 1947, soit sorti d’un (relatif) purgatoire esthétique où beaucoup l’avaient installé comme «anti-Picasso», autrement dit peintre enchanteur de la vie bourgeoise, hors du sens de l’histoire et dégagé des soucis du monde (ou les noyant dans des frémissements colorés, tel un corps dans une baignoire d’eau tiède) : cultivons les lumières de notre jardin. Comment saisir cet artiste sur qui l’on a posé plus d’étiquettes que de boules sur un sapin de Noël ? Nabi, japonisant, illustrateur et enlumineur virtuose, post-impressionniste, expressionniste, influencé par Munch, proche à la fin de sa vie de Matisse qui fait le vide tandis que lui fait le plein… et ces multiples autoportraits qui rythment sa vie avec une tension inédite, en chambre et sur la crête d’un siècle de massacres. Lire la suite de l’article
«Nuanciers éloge du subtil», miettes de tons
Une histoire des couleurs peu à peu apprivoisées du XVe siècle à nos jours par l’anthropologue Anne Varichon.
Qui n’a jamais rêvassé devant les variétés de couleur infinies d’un nuancier avant de refaire les peintures de son salon, qui n’a jamais apprécié le geste sûr de la coiffeuse caressant du pouce les échantillons de cheveux en nylon pour présenter les différentes teintures de son catalogue ne peut comprendre l’excitation qui saisit à l’ouverture du livre d’Anne Varichon, Nuanciers, éloge du subtil (Le Seuil). Des pages et des pages de couleurs et de tons, rangés du plus clair au plus sombre, de l’indigo au violine, du lie de vin au vermillon : une histoire des couleurs peu à peu apprivoisées du XVe siècle à nos jours. L’anthropologue a arpenté les collections privées et les institutions pour retrouver les traités naturalistes, les manuels de chimistes, les carnets d’aquarellistes, les écheveaux de laine, les plumes teintes, les «roues d’urines» aussi, qui associaient une couleur d’urine à un tempérament – sanguin ou lymphatique. Lire la suite
«Zahhak, la légende du roi Serpent», un tyran de papier
Dans leur livre animé, Hamid Rahmanian et Simon Arizpe racontent avec magie une histoire mythique de l’ancien royaume de Perse.
C’est un saut dans les contes de notre enfance, dans la magie à l’état pur. Zahhak, la légende du roi Serpent est un magnifique livre animé, on tourne les pages et le décor se déploie, mention spéciale à cette armée d’hommes à cheval mobilisée par Zahhak pour marcher sur l’Iran, défaire Jamshid le magnifique et y être couronné roi des Perses avant de régner en tyran sur sept royaumes pendant mille ans. Auparavant, Zahhak, qui n’était que prince, avait tué son père, le juste et bon roi Mardas dont le royaume du désert était prospère. Egoïste, paresseux, désinvolte, Zahhak avait été poussé au crime par le Démon déguisé en magicien qui, à peine Mardas éliminé, s’était grimé en maître de la cuisine royale et, embrassant un jour le jeune roi félon sur les deux épaules, avait fait jaillir de celles-ci deux serpents gigantesques et vicieux. D’où le surnom de roi Serpent. Lire la suite
«Jeanne par Jeanne Moreau», le tourbillon de l’écrit
Autoportrait de l’actrice et chanteuse disparue en 2017 à travers des textes inédits, documents et photos.
On sait que Jeanne Moreau écrivait des chansons (dont tous les morceaux de son quatrième album, Jeanne chante Jeanne, en 1970). Moins que l’actrice caressa toute sa vie durant le projet de publier une autobiographie. Son titre de travail était «Mon Livre». Elle commença à y penser sérieusement en 1975, l’année de la mort de son père et celle du tournage de Lumière, son premier film en tant que réalisatrice. Un contrat fut signé avec Grasset en 1976. Elle s’y attaqua en 1977, dans la foulée de son mariage surprise avec William Friedkin, après son déménagement à Los Angeles, à un moment où, installée dans une villa avec grilles électroniques, elle avait du temps à tuer. Le vent tourna, elle rentra vite à Paris, le divorce fut prononcé en 1979 – et l’ouvrage remis à plus tard, et plus tard encore à plus tard. Peut-être la brièveté des ritournelles convenait-elle davantage à cette girouette de génie, trop changeante et bigger than life pour se tenir tout entière dans un volume étriqué avec début, milieu et fin. Lire la suite
Laurent Bihl, Gilles Picq et Benoît Collas font la tournée des cafés en France
Trois ouvrages pour plonger dans l’histoire des cafés, bistrots, brasseries sur plusieurs siècles, à Paris ou en province.
Café, bistrot, rade, troquet mais aussi boui-boui, assommoir, caboulot, estaminet (on peut y fumer), divan, tapis-franc ou popine : son nom est légion. Chaque époque, chaque région a ses appellations et il y en a eu pour tout le monde, depuis ceux éclairés au gaz qui brillaient de mille feux sur le boulevard des Italiens, aux cafés des «pieds humides» où les oubliés de la vie pouvaient noyer leur mal-être debout en plein vent. Grâce à Laurent Bihl, le lecteur saura tout de ce patrimoine national aussi provincial que parisien. Outre une enquête de terrain chez tous les limonadiers qu’il a pu croiser – scientificité oblige – cet historien spécialiste du XIXe siècle a vu son projet prendre de l’ampleur. Au départ le simple désir de rééditer l’ouvrage que son père, Luc, avait publié jadis à l’Age d’homme. Mais très vite, le sujet devient dévorant, la documentation s’entasse et la réédition se transforme en une véritable somme. Café révolutionnaire, café républicain, café du peuple… tout est là, commenté et servi par de nombreux témoignages. Car la littérature sur les bistrots est souvent de nature anecdotique, c’est le lieu du récit de soi et d’une éloquence plus ou moins avinée, alternant blague ou sédition. Lire la suite
«Animaux énigmatiques», le génie de bêtes honnies
L’éthologue Jessica Serra catalogue les superpouvoirs ou modes de vie étonnants d’une trentaine d’animaux mal aimés.
Ils nous horrifient ou nous dégoûtent. Pourtant, piranhas, scorpions, guêpes, serpents ou sangsues ont des superpouvoirs fascinants, des modes de vie étonnants. Accessible et beau, le livre de l’éthologue Jessica Serra fourmille d’informations scientifiques, mais aussi historiques et mythologiques, sur une trentaine d’animaux mal aimés.
Nous voilà saisis par le regard pénétrant du loup, doté d’une intelligence hors normes. Comme le corbeau, ce surdoué aux compétences cognitives comparables à celles des grands singes. Ou la pieuvre, reine de l’évasion et bâtisseuse de cités sous-marines. Les rats savent conduire des mini-voitures électriques. La murène et le mérou, eux, coopèrent pour chasser. Lire la suite
Jean-Claude Ellena, les aquarelles d’un célèbre nez
Le créateur de parfums pour Hermès raconte son parcours dans «l’Odeur des jours», un livre illustré par ses propres peintures.
Avant de devenir l’un des plus grands nez du monde, de créer des parfums notamment pour Van Cleef & Arpels (First, en 1976) et pour Hermès à partir des années 2000, Jean-Claude Ellena connut beaucoup d’expériences dans différentes villes et eut plusieurs patrons. Né à Grasse en 1947, fils, petit-fils, arrière-petit-fils d’ouvriers du parfum, ce grand lecteur de Jean Giono a déjà raconté son parcours dans quelques livres (Journal d’un parfumeur, Sabine Wespieser, 2011 ; l’Ecrivain d’odeurs, Le Contrepoint «Nez», 2017). Il le fait en ajoutant cette fois à son récit des aquarelles, ravissantes et par lui dessinées. Qu’il peigne sa ville natale, un champ, ou les alambics d’un distilloir, son trait dégage de la douceur, de la beauté et de la simplicité. L’aquarelliste et le parfumeur sont un seul et même homme, celui qui écrit : «Créer des parfums d’une simple et radieuse nudité était ma raison d’être.» Si cette autobiographie est si agréable et si intéressante à lire, c’est parce qu’elle est remplie d’apprentissages, d’explications fines et minutieuses (la récolte du jasmin dans les années 1950 par exemple), et que le luxe pour lequel il a travaillé ne lui a pas fait tourner la tête. Lire la suite
Bruno Monsaingeon, tout sur la musique
Publication d’entretiens de l’homme de télévision et réalisateur qui fut proche du pianiste Glenn Gould.
Ceux qui aiment Glenn Gould l’associent évidemment à Bach, à l’essai de Michel Schneider Glenn Gould, Piano solo (Gallimard, 1988) et aux conversations qu’il a eues avec Bruno Monsaingeon et que celui-ci, réalisateur, a filmées. Un livre qui résulte de cent cinquante heures d’entretiens avec l’un de ses cousins, Guillaume Monsaingeon, permet de connaître cet homme de télévision, également violoniste. Deux interprètes ont compté dans sa vie : Menuhin, qu’il rencontre en 1962 (il était «le Rimbaud du violon» ), et Glenn Gould. Monsaingeon ressent son premier choc esthétique à 5 ans lorsque quelqu’un, chez lui, pose sur le gramophone la Danse hongroise en si mineur de Brahms, que «Menuhin avait enregistrée adolescent. Ce fut comme la révélation d’un paradis, quelque chose qui m’a remué pendant des jours, et qui continue d’ailleurs à me faire frémir». Lire la suite
Paul Kooiker, surréaliste ès «Fashion»
Le photographe néerlandais, dont le noir et blanc sépia est très prisé de la presse mode, adore perturber la beauté de ses modèles.
Paul Kooiker pose un œil surréaliste sur la mode depuis déjà près de trente ans. Le photographe néerlandais, basé à Amsterdam, projette ses images dans un espace temporel jamais vraiment figé. Difficile de fixer une année voire une décennie sur sa production ici rassemblée sous un titre aussi net que laconique : Fashion. Kooiker est loin de n’être qu’un grand nom de la mode, mais lui participe au renouveau du genre, à la frontière du beau et de l’étrange, à cheval entre l’industrie vestimentaire et l’art contemporain. Kooiker n’a jamais vraiment aimé plaquer le réel dans ses productions, et se méfie des beautés parfaites. Il préfère donner vie à des anatomies morcelées, et fait parler les corps disloqués ou augmentés. Il dit lui-même dans quelques interviews que perturber l’observateur est fondamental, précisant que dans ses images il veut sculpter et non pas chosifier. Lire la suite
Cléopâtre et Diane de Poitiers au casting de «la Folle Histoire du rouge à lèvres»
Une saga de Rachel Kahn et Christophe Fort sur le fameux bâtonnet.
Rédigée dans un vocabulaire actuel, au risque de l’anachronisme, servie par de belles illustrations qui osent recréer les visages de Diane de Poitiers ou d’Elisabeth Ière, cette «saga du rouge à lèvres», débutée en 3000 ans avant J.-C., se ferme sur la présente utilisation du cosmétique par les deux sexes, à des fins émancipatrices et subversives. L’originalité de cet ouvrage est d’être aussi plaisant – marque de fabrique des deux autrices qui appartiennent au monde de la création télévisuelle –, que savant, car nourri des travaux des historiens et d’interviews d’anthropologue, psychanalyste, écrivain et de ceux et celles qui gravitent autour du fameux bâtonnet. Lire la suite
«Herbier de prison» : Rosa Luxemburg, révolutionnaire en herbes
Entre 1915 et 1918, la spartakiste assassinée en 1919 compose en prison un herbier aujourd’hui publié avec une soixantaine de lettres.
Elle signe «Votre Rosa» à l’attention de ses correspondants, et le lecteur cent ans plus tard est tenté de lire «Notre Rosa». Car Herbier de prison fait naître un irrépressible élan du cœur pour son autrice, Rosa Luxemburg. La socialiste révolutionnaire (1871-1919) y apparaît comme une femme à la fois émancipée, soucieuse des autres, rendue inquiète par les atteintes faites à l’environnement et la maltraitance animale. Bref extrêmement proche, et même, et tant pis pour l’anachronisme, comme une femme d’aujourd’hui. Lire la suite
Art Spiegelman, retour à la case «Breakdowns»
Nouvelle édition avec postface augmentée et planches inédites d’un ouvrage publié en 1978 par le bédéaste, un «Portrait de l’artiste en jeune %@#$!».
«Breakdowns a été publié, envers et contre tout, en 1978 (quand j’avais 30 ans). Personne ne voulait d’une édition de luxe et en grand format à couverture rigide rassemblant mes quelques planches autobiographiques et structurellement expérimentales [et réalisées entre 1972 et 1977], sauf moi…», écrit Art Spiegelman en tête de cette nouvelle édition – «nouveau format, postface augmentée, planches inédites, nouvelle couverture», précise Flammarion – parue l’an dernier aux Etats-Unis, quatorze ans après la deuxième et presque quarante-cinq après la première. Le temps a passé, l’auteur typiquement underground est désormais le seul bédéaste à avoir reçu le prix Pulitzer (en 1992) et Maus, son roman graphique du temps de la Shoah et des récits de son père, est devenu un classique planétaire. Breakdowns, c’est autre chose, même si ça contient les prémices de Maus. C’est le «Portrait de l’artiste en jeune %@#$!» (tel est le sous-titre de l’album à quelques caractères et couleurs près), et même «en jeune %@#$! trop dispersé». C’est l’histoire d’un passionné de bandes dessinées qui, très tôt, étudiait la célèbre revue fondatrice Mad «comme d’autres gosses le Talmud» et qui a su comprendre le lien entre la meilleure façon de faire une valise et de la bd («dans le petit espace que tu as tu dois mettre tout ce que tu peux»). On y découvre de la culpabilité («En 1968 ma mère s’est tuée… sans laisser un mot !», laissant Art «prisonnier sur la planète Enfer»), de la pornographie, l’art du montage, beaucoup de nains et «la puissance du récit». Il y a «une visite guidée» des planches «Ça ne tourne pas très rond en ce moment» effectuée par l’auteur. Et Art Spiegelman fait de l’utilisation graphique du style indirect une base de son travail, tel un Flaubert dessinateur. Lire la suite
Et aussi en librairies : Bansky, Tove Jansson, Sempé...
Lire l’intégralité. Un gros nez blanc et rond, un hôtel en face du mur de Bethléem, le 71 de la rue Cardinal-Lemoine, la chasse aux harengs, le taro au caramel, l’exposition Toutankhamon, l’ascension du Vésuve, et une épopée savante au cœur de nos corps.