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Lundi poésie

Italo Calvino, ligure de proue

Poésiedossier
Parution de textes inédits et géographiques de l’écrivain italien, dont on célèbre le centenaire, consacrés à la région où il a grandi.
Italo Calvino, en 1978. (Ulf Andersen/Aurimages. AFP)
publié le 25 septembre 2023 à 9h48

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Italo Calvino fut-il aussi un poète ? A cette question, le volume publié par les éditions Nous à l’occasion du centenaire de la naissance de l’auteur du Baron perché ne permet pas exactement de répondre par l’affirmative. Liguries, comme son nom l’indique, rassemble des textes de jeunesse autour de la région d’enfance et d’adolescence de Calvino, ce commencement de l’Italie, au nord-ouest du pays, partagé entre la montagne et la mer. Cinq textes de proses et un ensemble de six poèmes, donc : les Eaux-fortes de Ligurie. Si l’on ne peut pas pour autant ranger le génial oulipien italien dans la catégorie des poètes, c’est qu’on a affaire ici davantage à une incursion de jeunesse, presque à une parenthèse, qu’à un véritable champ nouveau pour sa plume. Car «Calvino s’est toujours montré réservé à l’égard d’un genre, la poésie, qu’il plaçait au plus haut», précise le traducteur, Martin Rueff, dans sa préface. La poésie, Calvino la pratique plutôt en lecteur qu’en auteur.

A ce titre, sa référence absolue est Eugenio Montale, auteur d’Os de seiche et prix Nobel 1975. «Depuis mon adolescence, Montale a été mon poète et il n’a jamais cessé de l’être. Je continue d’être un montalien fanatique, dit Calvino en 1979. Et puis je suis ligure, et j’ai donc aussi appris à lire mes paysages à travers les livres de Montale.» Lire ses paysages, c’est précisément ce à quoi nous invite ce recueil de textes inédits. Ces Eaux-fortes sont des poèmes géographiques, écrits, comme on dit pour les peintres, sur le motif. La Ligurie est pour Calvino autant celle du littoral et des villes (Gênes, Savone et Sanremo) que celle de l’arrière-pays avec ses sentiers pierreux, végétation basse, paysans pauvres. D’un point de vue temporel, elle est irrémédiablement associée à l’enfance et au souvenir de sa jeunesse marquée par la guerre – Calvino eut un rôle très actif dans la Résistance. Car, écrit-il dans son texte consacré à la ville de Savone : «La véritable description d’un paysage doit finir par contenir l’histoire de ce paysage.»

A noter qu’à l’occasion de ce centenaire, Gallimard publie début octobre un épais volume de la correspondance de Calvino, le Métier d’écrire.

Italo Calvino, Liguries, bilingue, éditions Nous, traduit de l’italien par Martin Rueff, 168 pages, 18 euros.
L’extrait

Restanques

Est-ce pour rejoindre les paradis abrupts

qu’il s’élance l’escalier qui déclive

vers la pente, ou pour mourir sur les à-pics

secs, où l’olivier cède au pin ?

Pour adorer le soleil il faut des ères

grandes comme les terrasses que la vigne

doit garnir tout autour, et que sur la règle

de piquets et fils de fer pâlissent

de sulfate les feuilles.

Qui parmi ces gens

oserait chanter par les champs ?

Que la pioche ici

rompe la terre et le silence

en rythmant le mouvement des épaules.

Et qu’un frêle figuier

se torde au bord de la restanque.