Il est naturel, chez ceux qui n’ont souffert d’aucune discrimination, d’aucune humiliation, d’appeler au compromis ceux qui les ont subies. James Baldwin permet de penser contre ce naturel. Il le permet avec une joie féroce et mélancolique : c’est l’un des rares écrivains en qui le militant souligne le talent. Affaire d’énergie, de plaisir, de jeu aussi : Baldwin est le comédien de sa condition et de sa mission. On édite et on réédite (1), à l’occasion du centenaire de sa naissance le 2 août, parallèle à celui de la mort de Kafka, plusieurs livres, dont un recueil de textes et d’interventions inédit en français, la Croix de la rédemption (Stock). C’est l’occasion de vérifier que la nuance n’est pas forcément synonyme de modération.
En 1979, l’écrivain, qui vit à Saint-Paul-de-Vence où il mourra huit ans plus tard, fait l’inventaire des leaders noirs américains assassinés dans la décennie précédente («Voilà le résultat de la rébellion des esclaves»). Ces assassinats ont nourri sa tristesse sans le conduire à la résignation. «Il faut dire une chose très brutale, écrit-il. Les intentions de ce pays chagrin à l’égard des noirs – et quiconque en doute peut interroger n’importe quel Indien – ont toujours été génocidaires. Ils avaient besoin de nous pour le travail et pour le sport. Et maintenant ils ne peuvent plus se