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Pourquoi ça marche

«D’or et de jungle» de Jean-Christophe Rufin, Gafam fatals

Pourquoi ça marche ?dossier
Le romancier imagine des rois du Net putchistes.
Jean-Christophe Rufin, à Paris, en 2020. (Franck Ferville / Agence VU/VU)
publié le 2 mars 2024 à 11h56

Les grands patrons du numérique n’ont rien à voir avec les Ford, Rockefeller ou Rothschild d’antan. «Eux, ce sont des gamins qui ont bricolé dans leur chambre ou dans leur garage, et le jackpot leur est tombé dessus à trente ans […] Ce sont toujours des ados. Ils rêvent de transformer le monde, sauf qu’eux, ils en ont les moyens. Si on veut les exciter, il faut leur proposer des objectifs très simples et très fous : aller sur Mars, inverser le changement climatique, rendre les humains immortels.» Ou s’emparer d’un Etat… Tel est le pitch D’or et de jungle, dernier roman de Jean-Christophe Rufin, installé depuis sa sortie dans le peloton de tête du classement des meilleures ventes (première place détenue il y a peu par son compagnon de cordée Sylvain Tesson).

Est-ce de la politique-fiction ?

«Un coup d’Etat clé en main», voilà donc le deal proposé par Ronald Daume, ancien barbouze, séducteur et hâbleur, reconverti dans le renseignement privé, aux géants de la tech californienne. Ayant parfaitement compris qu’aujourd’hui seuls les Etats (avec leur carcan administratif, leurs lois et leur fiscalité) sont de taille à s’opposer aux rois du Net, notre aventurier beau parleur propose aux multinationales de leur offrir un pays où ils régneraient en maître. D’une taille raisonnable, avec une population multi-ethnique et des infrastructures à pirater, le sultanat de Brunei est le candidat idéal pour cette révolution de palais 2.0. Car ici, point de mercenaires sanglants pour renverser le pouvoir. L’insurrection téléguidée depuis un QG basé à Nice sera essentiellement psychologique et numérique ! «Le nouvel effet papillon. Un petit clic de souris ici. Et un tremblement de terre à l’autre bout du monde.»

Les Gafam contrôlent-ils déjà le monde ?

C’est évidemment l’explosion des technologies du Net et de l’IA qui a dû inspirer notre romancier diplomate. A eux cinq, les Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (et leurs rejetons Netflix, Airbnb ou Uber) ont un «PIB» supérieur à celui de l’Allemagne ou de la France ! Imaginer que ces stars de la Silicon Valley souhaitent un jour s’émanciper de toute tutelle ne relève pas forcément de la science-fiction. Campagnes de déstabilisation, cyberattaques, intox et deepfakes, vols de datas, algorithmes tout puissants… l’auteur n’avait qu’à piocher dans les faits divers de la blogosphère pour nourrir son intrigue.

Est-ce un roman d’aventures ?

Oui avant tout ! Et c’est sans doute pour cela que quelques critiques font grise mine à l’ouvrage. Jean-Christophe Rufin, héritier fidèle des romans d’Alexandre Dumas, aime raconter des histoires, inventer des personnages, décrire des lieux… Ici, Ronald le cerveau de l’opération ; Flora l’aventurière, véritable héroïne du roman ; Jo le baroudeur aux allures d’ours sympathique ; Imre et Ioura, les hackers déjantés ; ou encore Hugues Delachaux, l’universitaire féru de Machiavel et Trotski. On suit donc, comme dans un scénario de James Bond ou de Mission impossible, les péripéties de cette opération aux multiples rebondissements. Car, comme le souligne la postface, si les «briques de cet édifice de fiction» sont bien réelles, D’or et de jungle relève définitivement du récit romanesque.

Jean-Christophe Rufin, D’or et de Jungle, Calmann-Lévy, 448 pp., 22,50 € (ebook : 15,99 €).