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«Je n’écris qu’enfermé. Qu’enfermé dans mon bureau (ou à défaut dans une pièce avec fenêtre) ; qu’enfermé dans un ermitage mental ; c’est dans l’enfermement que se déploie ma sauvagerie d’écriture.» En septembre 2020, Jean-Pascal Dubost répond à une enquête de Siegfried Plümper-Hüttenbrink pour le site Poezibao. La question portait sur le comment de la littérature : chaque écrivain interrogé était invité à «faire état de l’acte d’écrire tel qu’il lui est donné à vivre». C’est la réponse de Dubost à cette enquête, réécrite, augmentée, développée, qui sort en recueil chez Rehauts. Le livre se présente comme une suite de notations, aphorismes et citations, à la fois matière et making of du poème.
Jean-Pascal Dubost, qui habite la forêt de Brocéliande, en Bretagne, explique qu’il ne dissocie pas son «acte d’écrire» de son environnement ; ce dernier en devient même la condition. «Le calme et le silence me sont absolument nécessaires, écrit-il. Loin du cliché du poète des bistrots devant un verre d’alcool, je ne suis pas Verlaine devant son absinthe, non, silence et café. S’il m’arrive de me déplacer quelques jours, je n’écris généralement pas, s’il m’arrive d’être en long déplacement hors mes murs, je m’évertue à recréer mes conditions d’écrire, sans la forêt ; mais l’esprit s’y enfonce quand même. Je déplace ma forêt si nécessaire.»
C’est donc en tant qu’habitant des bois que le poète écrit, dans le cadre d’une vie à la routine par ailleurs très réglée (lever très matinal, gratouilles au chat, café). Mais outre un environnement propice, vivre au milieu des arbres, comme le baron perché de Calvino, lui donne non pas une distance mais une façon nouvelle de considérer le monde et sa propre existence. En l’occurrence, Dubost envisage l’écriture comme une recherche, ou, disons, un affût, de son animalité. «Devenir animal sauvage est un vain espoir, une entreprise impossible, un horizon chimérique, à moins d’avoir été mordu par un animal-garou. Mais il est quelque chose qui me dépasse et m’y pousse, à tendre vers l’animal sauvage, à mimer dans la phrase et le rythme (du poème), voire dans ma sauvagerie d’homme farouche, à mimer la salvagine pour me fondre au mieux dans ma phrase et mon rythme, car c’est dans le poème, la langue du poème, que je m’ensauvage au plus près de ce à quoi j’aspire et qui m’aspire dans la langue follement.»
Il n’est pas anodin de voir se multiplier depuis peu les livres où les auteurs interrogent leur rapport avec le sauvage, et en font la matière de leurs livres (pensons à la Sauvagerie de Pierre Vinclair). Il faudra sans doute un jour analyser le lien étonnant et nouveau qui se tisse désormais en France entre philosophie et poésie, autour notamment du courant des penseurs du vivant. Reste que, réaction post-Covid, fuite face à un monde aux relents d’apocalypse ou simple repli, les poètes vivent désormais dans les bois. Et le lecteur assiste à l’expression d’une attention inquiète devant la biodiversité telle qu’elle est en train de disparaître, à des tentatives de lui laisser une place – à défaut de pouvoir la sauver – au sein même du poème, jusqu’à une contamination de l’écriture par les forces qui gouvernent la vie de la nature. Dans son travail, pose Jean-Pascal Dubost, «il y a un animal entre chaque ligne».